24 oct. 2007

.
.
.
COMPLAINTE DU JOUR
.

Une jeune octogénaire
De quatre-vingt-trois printemps
D’aller jusqu’à cent ans
Se faisait une chimère,
Et disait ses orémus
Dans le temple de Vénus.

Elle mettait des perruques,
De faux nichons, fausses dents,
Et des robes de vingt ans
Pour se rendre moins caduque.
Des cosmétiques, des fards
Requinquaient son teint blafard.

Et le soir, ainsi grimée,
Et dans son grand tralala,
Vous l’eussiez prise pour la
Veuve de la grande armée,
A moins d’être aveugle et sourd,
Ce qui se voit tous les jours.

Elle fréquentait des bouges,
Des cabarets turbulents
Et d’innommables beuglants
Pleins d’escarpes et de gouges,
Et tous les marchés aux veaux
Et les foires aux chameaux.


Là, suivant la circonstance,
Grâce à ses faux cabochons,
De tout petits greluchons
Elle excitait la jouvence,
Les menait dans son dortoir…
La nuit, tous les chats sont noirs.

Or, la semaine dernière
Elle avait fait un chopin
Rose comme un chérubin
Et d’élégantes manières,
Dont se promettait son flair
Une belle jambe en l’air.

Il n’est que la foi qui sauve.
Nous l’entreprendrons ici
De révéler, Dieu merci !
Les doux secrets de l’alcôve.
Au surplus, je n’étais pas
Entre cuir et matelas.

Le lendemain, dès huit heures,
La bonne cria : holà !
Apportant le chocolat
Avec du pain et du beurre.
Ce chocolat d’amateur
Qu’on dénomme du Planteur.

Malgré qu’elle eût la voix forte
Personne ne répondit.
Alors la bonne se dit :
Il faut enfoncer la porte.
Ce qu’elle fit aussitôt.
Mais elle eut un soubresaut.

O spectacle épouvantable !
Sa maîtresse était gisant
Dans sa cervelle et son sang.
Les deux jambes sur la table,
Le chef détaché, tapi
Dedans le pot à pipi.


La bonne crut nécessaire
De crier : à l’assassin !
De réveiller les voisins,
D’aller chez le commissaire.
Le commissaire arriva
Et dit : « C’est moi, me voilà.

« Évidemment c’est un crime.
J’en mettrais ma main au feu.
Certes, la pauvre victime
Elle-même n’aurait pas
Pu se mettre en cet état…

« Quoi qu’il en soit, elle est morte,
Je n’y puis rien, vous non plus.
Du royaume des élus
Je la vois passer la porte.
Il lui sera pardonné,
Car elle a beaucoup aimé. »


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
19 oct. 1902
.
.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

quel humour !