4 oct. 2007

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LA PENDULE
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J'ai dans ma chambre une pendule
Comme on en voit des milliers,
D'un gabarit et d'un module
Qui n'ont rien de particulier.

Depuis déjà pas mal d'années,
Je puis bien ajouter aussi
Qu'elle enlaidit ma cheminée ;
Mais ce n'est pas là mon souci.

Ne me suis-je pas mis dans en tête
Qu'en son langage tictatant
Elle me dit et me répète :
" Va-t'en, sinon à quand ? à quand ? "

Jadis, je n'y prenais pas garde.
Comment se fait-il qu'aujourd'hui
Je m'attarde à cette guimbarde ?
Est-ce parce que j'ai vieilli ?

Elle m'agace, m'horripile,
Elle me porte sur les nerfs ;
Je me fais une noire bile,
Et je coule des jours amers.

Je la trouve plus agressive
Chaque jour : à quand ? à quand, quoi ?
Et voilà que j'invective :
" Est-ce pour te moquer de moi ? "



" Mais, saleté de mécanique,
Je te le permettrais si tu
Etais une pendule unique,
Un objet d'art... bien entendu.

" Or, il s'en faut que tu sois telle.
Tu n'es guère bonne, vraiment,
Qu'à marquer l'heure, de laquelle
Je n'ai qu'un vague sentiment.

" Parbleu ! vieille sempiternelle,
Je suppose que cet : " A quand ? "
Signifie, en sa ritournelle :
" Quand vas-tu me ficher le camp ?...
"

" Si c'est ça que tu veux me dire,
Et comme aussi bien, cher Satan,
Je ne suis pas pressé de cuire,
Je te réponds : " Attends ! Attends ! "

" Je sais que la vie est un leurre.
A quoi bon me le répèter
Mille et quelques cents fois par heure !
Allons, cesse de m'embêter... "

Hélas ! à la même minute
Que je vais d'elle me moquant,
Elle est là, qui me persécute
De ces deux syllabes : " A quand ? "

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*
* ..*


Vous me direz : " Pauvre imbécile,
Pourquoi ne pas mettre au rancart
Cette pendule atroce et vile,
Si, pour toi, c'est un cauchemar ? "

Ou bien, ce qui revient au même :
" Ne la remonte pas. Un point,
C'est tout. Garde-la, si tu l'aimes. "
Tiens ! c'est vrai, je n'y pensais point...

Et puis... non. J'ai la certitude
Que, si j'interrompais son cours
Dont j'ai tellement l'habitude.
Je croirais encore et toujours

Entendre son tic tac stupide
Après bien des ans révolus...
Ainsi l'on voit un invalide
Souffrir d'un membre qu'il n'a plus.




RAOUL PONCHON
le Journal
29 janvier 1912





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