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MORT DE LA TERRE
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M. Berger, de l’institut,
nous dit que la Terre n’a plus
que dix millions d’années à
courir…
J’ai lu, dans un bouquin du quai,
Que notre globe terraqué
Qui n’est que misère et qu’opprobe
Etait éclos un vendredi
Spontanément, et vers midi,
Le vingt-sixième jour d’octobre.
C’est bien, je le crois en mon for.
Mais je ne savais pas encor,
Laissant à d’autres cette algèbre
Dont je n’ai d’ailleurs nul souci,
Quand est-ce que ce globe-ci
S’écroulerait dans la Ténèbre ?
Eh bien, je le sais maintenant,
Berger, astrologue éminent,
A lu nos destins dans les astres.
Et c’est dans dix millions d’ans
Que la Terre et ses habitants
Connaîtront le dernier désastre.
Nous serons morts au firmament,
Comme la Lune censément…
Peut-être même notre Terre,
On pourra la chercher partout,
N’étant plus rien dans le Tout,
Qu’un point nul au sein du Mystère.
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Voilà bien quel est notre sort.
Il n’est pas beau de prime abord.
Mais en dix millions d’années
Nous avons quand même le temps,
Si ce n’est qu’en nous, nos descendants,
De boire pas mal de tournées.
Buvons donc, et laissons pleuvoir.
Faisons toujours notre devoir,
Et vivons sans impatience,
Songeant que nos petits-neveux
Sauront réaliser nos vœux,
Si trop courte est notre science.
Heureux ceux qui verront demain
Les peuples, la main dans la main,
Peut-être considérant comme
Un mauvais rêve qu’on a eu
La Guerre et son tohu-bohu !…
Encore que je n’y crois guerre :
Avant de devenir frangins,
Ils trouveront d’autres engins,
Tels que, pour en fuir le vacarme
Et cependant s’estropier,
Ils se tueront à coups de pied,
Et ce sera leur cinquième arme.
Tant pis ! Mais ils verront encor
Paris dans un propre décor,
Les travaux de la Tour Saint Jacques,
De la Concorde - à la rigueur -
De la Butte et son Sacré Cœur
Terminés quelque jour… à Pâques !
Ils goûteront cette douceur
De vivre sans démolisseurs.
Paris deviendra de Cocagne.
De même - oh ! je n’en suis pas sûr -
Je les vois fixés sur
Les boniments de l’Allemagne.
Enfin, je veux bien croire qu’ils
Seront plus fins et plus subtils
Que nous, malgré notre faconde,
Et que peut-être avec le temps
(Pensez donc, dix millions d’ans !)
Ils retrouveront la Joconde.
RAOUL PONCHON
le Journal
18 sept. 1911
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