11 janv. 2010

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L'ALMANACH DU FACTEUR
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Or donc, ce matin, je dormais
Comme je ne dormis jamais
Depuis belle lurette ;
*
Il était huit heures un quart,
Lorsque je fus réveillé par
Un fort coup de sonnette.

De mon lit, je ne fis qu'un saut.
C'est, présumai-je, quelque sot,
Un facheux rabat-joie...
" Qui est là ? - dis-je avec humeur -
On me répondit : le facteur.
- Ah ! c'est Dieu qui t'envoie !

" C'est donc toi, facteur diligent,
Qui viens m'apporter de l'argent !
Attends une minute.
Je ne t'espérais qu'au printemps...
Enfin, je suis à toi, le temps
De passer ma culbute. "

Songez si c'est moi qui fus sot
Quand cet employé de Mougeot
D'une voix goudronnée,
Me dit comme ça, tout à trac :
" Voici mon petit almanach
Pour la future année. "


Et tout de suite je compris
Que j'y devais mettre le prix.
Faisant contre fortune
*
Bon coeur, dame, que voulez-vous ?...
J'y fus de mes quarante sous,
Si ce n'est d'une thune.
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Qué malheur ! réveiller les gens
Pour leur extorquer de l'argent
Le matin, dès l'aurore !
Le facteur, mon Dieu, je l'admets
A la très grande rigueur, mais
Ceci n'est rien encore.

Aujourd'hui, comme l'an dernier,
Si c'est, réclamant son denier,
Le facteur qui commence,
Demain viendra le balayeur,
Après-demain le vidangeur,
Chantant même romance.

Que dis-je ? vous ne pouvez pas
Sortir de chez vous, faire un pas,
Franchir la moindre porte,
Soit d'un coiffeur, soit d'un tabac,
Sans qu'on vous " pose " un almanach,
Pour parler de la sorte.

Dans les restaurants, les cafés...
Vous serez, de même estampés.
Les garçons, plus aimables,
Vous offrent, pour être étrennés,
Des cigares enrubannés,
C'est-à-dire infumables.

N'est-ce pas à vomir debout ?
Cela, d'autant plus que d'un bout
A l'autre de l'année,
Vous savez bien que ces messieurs
En pourboire fallacieux
Drainent votre monnaie.

Il n'est pas jusque - en vérité -
Aux chalets de nécessité,
D'une exigence folle,
Qui ne demandent pour leur tronc
- Je dis tronc pour être plus prompt -
Une coupable obole.


Cinq francs par-ci, vingt sous par là.
Vous n'y sauriez couper ; c'est la
Dîme stupide, inepte,
Que l'on prélève, au jour de l'An,
Sur le crétinisme ambulant,
Et que chacun accepte.

Bien heureux qui peut s'en tirer,
Et son budget équilibrer !
Quant à vous, les lyriques,
Vous n'y parviendriez, je crois,
Qu'en vous brossant, pendant un mois,
Le ventre avec des briques.
*


le Journal
23 nov. 1901

RAOUL PONCHON

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