7 janv. 2010

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CONTE
POUR LE JOUR DES ROIS

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A mon ami l’empereur de Chine


Un jour les rois de la terre
Au nombre de mille et trois
Voulurent pour se distraire
Tirer ensemble les Rois.

Cette fête dînatoire
Eut lieu le diable sait où :
C’était, - tout me porte à croire -
A mi-chemin de partout.

Là, raconte mon histoire,
Dans le castel de l’un d’eux,
Se trouvait un réfectoire,
Qui, d’ailleurs, en valait deux ;




Où, défiant la pensée
Par son luxe et son confort
Une table fut dressée :
On y remarquait d’abord

Des quantités innombrables
De vins de toutes couleurs,
Merveilleux, indiscutables,
Qui riaient parmi les fleurs ;

Des tas énormes de viandes,
De volailles, de pâtés,
De nourritures friandes
Eh bien d’autres saletés.


* *

Donc, des quatre coins du monde
Nos potentats au jour dit
Arrivèrent à la ronde
Sur le tournant de minuit.

C’en était-il des monarques ?
Des tsars, des kahns et des shahs !
Des rois des meilleures marques,
Des rajahs, maharadjas !

Des empereurs, des dynastes,
Des grands turcs et grands mogols
Fastueux, énormes, vastes,
Fiers comme des Espagnols,



Et puis, de moindre volume
C’étaient quelques Béhanzine
Pour couronne et pour costume
N’ayant qu’un gibus en zinc.

Une fois tous là, mes poires
Semèrent briffodzor,
A tricoter des mâchoires
A boire des vins en or.

Chacun se garnit la panse
Comme on pense, congrûment.
Ces messieurs à la dépense
Ne regardant nullement.

Mais le plus beau de la fête
C’est lorsque l’on apporta
La glorieuse galette :
Mes amis, fallait voir çà ;

Elle était lourde, dorée,
Digne de ces mecs de choix,
Enorme, démesurée,
- Songez donc, pour mille et trois !

Or, voici qu’un deux se lève
Et dit : « -C’est compris, je crois :
« Celui qui aura la fève
« Sera dit le Roi des Rois ;



« Il aura la terre toute,
« Les autres, petits et gros,
« Tout en restant rois, sans doute,
« Seront ses humbles vassaux. »

Avec joie ils applaudirent
A ce discours, aussitôt
Toutes les mains se tendirent
Vers l’admirable gâteau…

Quand une main formidable
S’abattit au beau milieu,
Envahit toute la table,
Et c’était celle de Dieu.

Cette lumineuse paume
Crut épouvantablement,
Ecrasant comme un atome
Ces souverains d’un moment.

A l’instant s’évanouirent
Et les murs et le plafond,
Et Dieu lui-même ils ouïrent
Qui du haut du ciel profond

Leur dit : « - Tas de misérables
« Pleins de fumée et de bruit,
« Potentats considérables,
Disparaissez dans la nuit ;

« Jouets d’un absurde rêve,
« Rengainez ce fol émoi ;
« A moi seul revient la fève,
« Car le roi des Rois c’est moi. »


Là-dessus, il se retire
En son céleste château
Pour manger, - çà va sans dire -
A lui tout seul le gâteau.

Et tandis que sous sa voûte
Il fait bon ménage à trois,
Le vent vous disperse toute
Cette poussière de rois.



Raoul Ponchon


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