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Au temps où les bêtes parlaient
.(CHANSON)
Jadis les gens étaient moins bêtes,
- Du temps où les bêtes parlaient, -
Les coeurs étaient vaillants, les têtes
Pour la liberté s'emballaient ;
La foi des peuples était prompte
Vers leurs cieux qui les consolaient.
C'est du moins ce que l'on nous conte
Du temps où les bêtes parlaient.
Les rois pacifiques, honnêtes
Etaient tous des gentils garçons,
Régnaient sagement ; les poètes
Les célébraient dans leurs chansons.
Dans une touchante harmonie
Les grands aux humbles se mêlaient :
Rêve éteint, vision finie !
O temps où les bêtes parlaient !
Jadis, les mères, les épouses
Se montraient meveilleusement
De l'honneur de l'époux jalouses
En ne prenant qu'un seul amant.
Mais entre elles faisaient la paire,
Jamais elles ne s'accouplaient ;
Les enfants avaient plus d'un père
Au temps où les bêtes parlaient !
La femme aujourd'hui politique,
Fait sa médecine, son droit,
Aspire à la Chose publique :
Mon Dieu, qui sait ? Moins qu'on le croit
Elle est capable de sottises ;
Mais jadis les hommes trouvaient
Plus de boutons à leurs chemises
Au temps où les bêtes parlaient .
Au bon temps jadis, sur les places,
Certainement l'on rencontrait
Bien moins de fontaines Wallaces,
Plus de marchands de vin clairet.
O crâne temps ! Epoques dignes !
Les bons ivrognes se saoûlaient
Avec le joli sang des vignes !
Au temps où les bêtes parlaient.
Autrefois l'on voyait l'artiste,
Tout entier à son idéal
Aimer la beauté Trimégiste
D'un amour pur et filial .
Les Arts n'étaient pas en boutique
Et les peintres ne barbouillaient
Pas encore l'Amérique,
Au temps où les bêtes parlaient.
La pudeur était moins farouche ;
Les moeurs pourtant n'en souffraient pas ;
On pouvait baiser sur la bouche
Sa muse, à la fin du repas,
Jadis. Les juges équitables
Jugeaient les méchants, mais laissaient
Chanter en paix les pauvres diables,
Au temps où les bêtes parlaient.
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
17 janv. 1892
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