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LA DAME VOILEE
.C’est en l’an dix-huit cent et quatre-vingt-dix-sept,
Si j’ai bon souvenir, que ceci se passait :
Vatenguerre régnait sur les Pantagouriches,
Braves gens, si l’on veut, mais quelque peu godiches.
Il avait pour voisin un souverain barbu
Fils de Chutalongkorn et de la mère Ubu,
Nommé Scheurer-Kestner, né natif de Mulhouse,
Gérant de son côté le peuple Bottonglouse.
Tous deux vivaient en paix, mais dans l’espoir - qui sait ?
De se casser la gueule un jour ou l’autre. C’est
La vie ! En attendant, ils s’outillaient à force
Afin de conserver cette paix genre Corse.
Or, un jour, un certain Bottonglouse nommé
Cancufer, lieutenant de douanes réformé,
Résolut de trahir son pays, sous prétexte
- Si des journaux récents, j’ai bien saisi le texte -
Que son supérieur Chodorlaomor lui
Avait fait boulotter du veau pas assez cuit.
Il devait avant tout espérer et se taire,
Et puis se mettre bien avec le ministère
De la guerre, ce nid de braves à trois poils,
D’excellents Ramollots, d’antiques Ratapoils
Qui tiennent enfermés sous de triples serrures
Les papiers relatifs aux revanches futures,
Les modèles nouveaux de canons, de fusils,
De poudre sans fumée et tant d’autres outils,
Sans compter cet objet, qui est un pur chef-d’œuvre,
En même temps que la clef de Champ de manœuvre.
C’est sur ce document que notre hurluberlu,
L’ignoble Cancufer jeta son dévolu.
Mais comment s’emparer de cette clé suprême ?
Il était trop connu pour opérer lui-même,
Il dut donc employer pour commettre ce vol
Un sien cambrioleur ami, dit l’Espagnol,
Lequel ayant reçu tout d’abord quelques arrhes,
Lui remettait bientôt deux objets fort bizarres :
Non seulement la clé des champs (voir plus haut) mais
Encor ça qui est dit le « moule à guillemets ».
Cancufer aussitôt se mit une postiche,
Et le voilà parti chez les Pantagouriches.
Las ! Sur sa route, un jour, loin de s’effaroucher,
Il lia connaissance avec un sieur Vacher.
Ce Vacher était un homme de mœurs légères
Qui tuait des bergers ainsi que des bergères.
Cancufer confiant lui conta son projet ,
Si bien que son nouvel ami n’eut pour objet
Que de l’assassiner et trahir à sa place.
C’est-ce qu’il fit bientôt. Il lui prit sa limace,
Ses habits, papiers… puis en tant que Cancufer
Porta la clé fameuse au roi Scheurer-Kestner,
Qui lui remit comptant une très forte somme
Avec laquelle il vit depuis en honnête homme.
Cependant, Cancufer - le vrai - n’était pas mort,
Comme Vacher l’avait considéré d’abord
Il reprit ses esprits, poussa des cris d’alarmes…
C’est ici que l’on voit arriver les gendarmes.
On le mit en prison, on lui fit son procès,
Comme au Vacher cherché jusqu’alors sans succès.
Il eut beau protester et se défendre d’être
Un assassin, disant qu’il n’était rien qu’un traître,
C’est dans ce sens pourtant que le jury conclut
Et qu’il l’envoya paître aux îles du Salut.
Mais qu’est-ce que disait de toute cette affaire
Le fameux Bougrelas, ministre de la guerre
Des Bottonglouses ? Rien. Ne pouvant un moment
Songer qu’on put forcer l’armoire aux documents.
La question bien sûr en serait là restée
Comme un fait-divers nul, sans aucune portée,
Si, tout à coup, tableau ! notre ami l’Espagnol
N’était venu chez Bougrelas narrer son vol :
On ouvrit sur-le-champ l’officielle armoire :
La clé n’y était plus ! c’était à n’y pas croire.
« Oui, disait l’Espagnol, j’ai volé cette clé
Pour le compte d’un Juif nommé Trinque Male
Puis, au dernier moment, je fus pris de remords.
La clé qu'il tient de moi n’est que fausse. Ai-je du tort
Quant à la vraie, eh bien ; une dame voilée
Me la paya très cher et puis s’est envolée. »
Bougrelas là-dessus fit garder l’Espagnol,
Entra dans une rage immense, devint fol ;
Délivra Cancufer et lui fit des excuses,
Chercha Trinquemale selon tout l’art des ruses ;
En attendant, il consigna tous les quartiers,
Fit mettre à la torture on ne cents officiers ;
Et naturellement, toute femme voilée
Etait, de par son ordre, aussitôt emballée…
Sache donc, Bougrelas, car j’ai pitié de toi,
Que la femme voilée en question, c’est moi.
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