9 oct. 2007

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S'IL PLAIT A DIEU !
(CONTE BRETON POUR LES JOURS GRAS)
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Or, le Seigneur avec saint Pierre
Descendirent un jour sur terre,

A l'occasion des jours gras.
Etait-ce pour faire la noce,
Et pour se flanquer une bosse ?
Je ne sais pas. Je ne crois pas .

Toujours est que nos camarades,
Après tout un jour de balade,
Et quand la nuit vint tomber,
Sentirent dedans leurs entrailles
Se dresser comme une muraille
L'X implacable du souper.

Et saint Pierre se désespère.
Lorsque, tout à coup, Dieu le Père
Lui dit : " Ne pleure plus, païen.
Je vois là-bas une chaumière
Etincelante de lumière ;
Viens-y toujours, nous verrons bien... "

Dès qu'ils toquèrent à la porte,
Une cabaretière accorte
Vint tout aussitôt leur ouvrir.
" Bonjour, messieurs. - Bonjour, madame
Un morceau de pain, sur votre âme,
Cela ne peut vous appauvrir.


- Ah ! c'est le ciel qui vous envoie !
Vous tombez dans un jour de joie.
Je suis en train, pour le moment,
De brasser une pâte fine
A faire des crêpes. Ma fine,
Vous en aurez certainement.

- S'il plaît à Dieu ! dit Notre Père.
- Oh ! Dieu n'est pour rien dans l'affaire.
Vous en mangerez, sur l'honneur !
Encore un peu, la pâte est faite,
Le feu flambe, la poêle est prête.-
- S'il plaît à Dieu ! dit le Seigneur. "

Ah ! malheur ! comme elle se hâte,
Le baquet contenant la pâte
Se défonce par le milieu.
Et voilà, dans une seconde,
Tomber la belle pâte blonde
Misérablement dans le feu.


" Parbleu ! si le Diable s'en mêle...
Vous pouvez tourner la semelle ;
Car ce n'est toujours pas ici
(Mettez sur votre faim un crêpe)
Que vous pourrez manger des crèpes.
- Mais si, dit le Seigneur, mais si. "

Et, de son bâton de voyage,
Il opéra le recollage ;
Le baquet fut comme devant
Plein de pâte fine et légère.
Quant aux crêpes, ils en mangèrent
Pour jusqu'au Mardi-Gras suivant.


- Vois-tu, rien n'est certain sur terre,
Dit en s'en allant Dieu le Père ;
Il y a toujours un cheveu..
Il faut, mon compère, et pour cause,
Quand on entreprend quelque chose,
Toujours dire : " S'il plaît à Dieu ! "


RAOUL PONCHON
le Journal
10 fév. 1902




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