.
.
SAINT ANTOINE
.
Légende bretonne
Le cochon entra dans la religion en figurant aux côtés de Saint-Antoine. D'origine noble, ce jeune chrétien avait fait le voeu de devenir ermite et se retira dans le désert. Il dut subir l'assaut d'horribles tentations qu'il repoussa néanmoins victorieusement. L'esprit du mal qui le tenta prit plusieurs formes notamment celle d'un cochon. Mais Saint-Antoine ne succomba pas, rendant ainsi au cochon sa paisible nature. Saint-Antoine fit donc du cochon son fidèle compagnon.
Un jour, le Seigneur en bisbille
Avec saint Pierre, son portier,
A propos d’une peccadille,
Le mit pour quatre jours à pied.
Puis il appela saint Antoine,
Qui vivait au désert, passim…
Comme l’être le plus idoine,
A remplir ce court intérim.
Le saint cessa donc de reluire
Sur terre. Il prit son baluchon,
Sans oublier, ça va sans dire,
Son inséparable cochon.
« Oh ! oh ! s’écria Dieu le père,
Mons Antoine, quel est ceci ?
Tu n’as pas la trouille, compère,
D’amener un cochon ici ! »
« Quoi ! Dit l’autre, la digne bête,
Qui jamais d’un pas n’a quitté
Son pauvre vieil anachorète,
M’en séparer ! Dieu de bonté !… »
« Il le faut. Elle serait forte,
Par exemple, un cochon, céans !…
Tiens, voici les clefs de ma porte :
Surtout n’ouvre qu’à bon escient. »
Sur ces derniers mots, Dieu le Père
Le quitta, tout en ronchonnant :
« Ce saint est extraordinaire ;
Un cochon, chez moi, maintenant ! »
« Seigneur, vous en verrez bien d’autres,
Pensait Antoine dans son for,
Et vous reconnaîtrez les vôtres.
Quant à moi, ce n’est pas mon sport. »
Il laissa donc dehors sa bête,
Mais près de lui, dans un instar,
Pour lui refiler en cachette,
De l’ambroisie et du nectar.
Il le voyait de sa fenêtre.
« Mange - il lui disait - mon colon.
Bientôt te reviendra ton maître :
Quatre jours, ce n’est pas bien long. »
Puis, comprenant à sa manière
Son rôle de divin portier,
A l’Humanité tout entière
Il eût ouvert sans sourciller.
Il accepta les plus infâmes
Comme les plus dignes gibiers,
Laissait entrer toutes les âmes
Sans références ni papiers.
« Venez, messieurs, sans nul prétexte,
Aucun ne s’en retournera,
Disait-il.- Je m’en tiens au texte :
Frappez et l’on vous ouvrira.
« Entrez, quarts d’homme et demi-vierges,
Profitez de ces quatre jours
Pendant lesquels je suis concierge ;
Entrez, choléras, mes amours ! »
Moins d’une heure après ce manège,
S’aperçut tôt le Seigneur Dieu
Que son ciel d’azur et de neige
Se teintait de noir quelque peu.
Il courut vite à Saint Antoine,
Se doutant d’où venait le mal :
« Sacré bougre d ‘entêté moine !
Rends-moi les clefs, vite, animal ! »
Notre saint Pierre intérimaire
Rendit les clefs, sans se troubler,
Reprit son cochon, sa chimère…
Et fit mine de s’en aller.
« Où vas-tu ? » lui dit le Père.
« Ben, dit Antoine, ailleurs, pardi.
Sans ma bête, je considère
Comme néant ton Paradis. »
« Vraiment, par ma mère, la Vierge !
Peut-on rien voir de plus têtu ?
Et tu ne peux faire un concierge !
Ah ! Si ce n’était ta vertu !
« Va, toutes réflexions faîtes,
Entrez tous les deux, abrutis. »
…………………………..
C’est depuis ce temps que les bêtes
Ont leur entrée au Paradis.
R.P
le Journal
28 08 1901
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire