A Ponchon,
marchand de vins
.

… Je prends la liberté de vous écrire pour vous faire mes offres de service… Les vins de Roussillon sont les meilleurs pour familles en raison de leur robuste constitution…
Je vous engage à faire l’essai de mon vin persuadé que vous n’en voudrez plus d’autre, etc., etc.
( PONCHON, de Perpignan.)
Parbleu, mon homonyme,
Si tu n’es pas de Nîmes,
De Cette ou de Bordeaux
Ces poil… au dos ;
De Toulouse, Angoulème…
D’Arles ou d’Agen même,
Tu es Perpignannais :
Ca se connaît.
Pour ton Perpignan blême
Il n’est point de problème,
On n’y doute de rien :
( C’est d’un chrétien ).
Mais dame, l’on ignore
Ce qu’on n'y sait encore
Comme partout ailleurs,
D’ailleurs, d’ailleurs.
Car tu me sembles croire
Que je suis homme à boire
Le premier vin venu,
Le moins chenu.
Tu vas jusqu’à prétendre
Que tu pourrais me vendre
Du Roussillon, Ponchon.
Ben, mon cochon !
( Comme on écrit l’histoire !
Pitié pour cette poire,
Seigneur ! Pardonnez-lui
Pour aujourd’hui. )

Mais toutes ces vinasses,
Ponchon, roussillonnasses,
Tous les vins rouillons
Sont des couyons,
N’ont ni parfum ni flamme,
Ce sont des corps sans âme,
Et plus plats que la main,
Sans lendemain ;
C’est une sotte espèce,
Ils sont de verve épaisse,
Noirâtres et balourds,
Apres et lourds.
Et c’est, ne t’en déplaise,
Par des degrés qu’ils pèsent
Tes Roussillons falots,
Mais des kilos.
Il faut que l’on les turbe,
Il faut qu’on les asturbe
Pour les faire jouir,
Epanouir.
Qu’on les dés origine,
Qu’on les coupe, cuisine
Avecque d’autres crus
Moins qu’eux bourrus ;
Et ça n’est pas encore
Rien de bien mirliflore,
Ca n’est pas le Pérou,
Ni peu ni prou.
C’est bon pour les peuplades
Exotiques malades,
Ou le blindé palais
De tes Anglais.

Mais, pour moi, je t’assure
J’aime encor mieux l’eau pure
Que ce vin de clinquant.
Ainsi donc, quant
A me vendre une tonne
De ton vin monotone,
Tu ne m’as pas, ben vrai !
Aregardé…
Voyons, cher homonyme,
Ponchon, dis-moi sans frime
Si tu bois de ce vin
Tant veule et vain ?
Si tu en bois, vieux drille,
T’es pas de ma famille,
Tu n’es pas un ponchon,
Non, mon cochon !
Raoul Ponchon
1898
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