14 sept. 2007

Paresse

Ah ! Qu’il est bon de ne rien faire
Quand tout s’agite autour de nous !


Ainsi que la dernière espèce
Je suis sans jambes et sans bras,
Au point que si j’étais plus gras
On me prendrait pour la Paresse

Elle-même, et pour pire encore ;
Et je tomberais en faiblesse
S’il me fallait tenir en laisse
Un rat fût-il quatre fois mort.

Un rien m’écrase, tout me brise,
Le mouvement m’est odieux,
Rêver et laisser faire aux dieux,
Telle est mon aimable devise.

Quoi ! Tu ne fais rien de ton temps ?
Vont me dire mes chers semblables,
Hideusement infatigables :
Non, messieurs, non, j’attends, j’attends.

Et pourtant je meurs de fatigue
Toujours ! Je suis lourd comme un plomb,
Comme si tout le long, le long
De vivre je dansais la gigue.

Je crains autant que le trépan
La plus innocente secousse ;
Le seul bruit de l’herbe qui pousse
Me démazucle le tympan.

Travaillez jusqu’à perdre haleine,
Auprès d’une vaine fourmi,
Vous aurez l’air d’avoir dormi ;
Eussiez-vous pris une baleine.

Vois-je évoluer un fétu,
Si le moindre atome remue,
Je lui dis d’une voix émue :
« O moindre atome, que fais-tu ?

Tu vas t’éreinter, misérable,
Et tu vas aboutir à quoi ?
Regarde-moi, je me tiens coi,
Telle une chose indiscutable. »

Croyez-moi, l’on est bien partout ;
Dans votre rage vagabonde
Faites sans fin le tour du monde
Vous n’en saurez pas le vrai bout.

Soyez de vastes Alexandres
Ou bien de très chauves Césars,
J’en tiens, moi, pour les bons lézards ;
Oh ! Les chats frileux dans les cendres !

Cher Toi, dont l’amour m’embellit
Comme le soleil fait la lune,
Tu sais si j’attends la fortune
Comme Baptiste, dans ton lit !

Tiens, la voilà déjà qui sonne,
Hélas ! Faut-il la recevoir ?
Je suis si las ! Va toujours voir !
Et dis-moi que ça n’est personne.

Ce doit être le vent, parbleu !
Tu vas me caler cette porte,
Et tâcher de faire la morte
Pour que je me repose un peu.

Du temps des mignonnes Charites **
Et de la mère des Amours,
Je n’eus pu supporter deux jours
L’activité des Sybarites ;

Moi qui suis à l’instant perclus
Rien qu’à voir une rose éclore,
Qui suis fourbu quand vient l’aurore,
Et quand vient le soir n’en puis plus,

C’est un jour de grande énergie,
Que j’ai rimé péniblement
Ces quelques vers, tout en fumant
Je ne sais quoi de la régie.

Envoi

Amis, quand je ne serai plus,
Plantez un loir au cimetière,
Et recherchez dans ma poussière
Quelques traces de mes vertus.

Raoul Ponchon



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