14 sept. 2007

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L’OISEAU INCOMESTIBLE

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Des braconniers en leur filets
Avaient pris nombre d’oiselets

Et leur préparaient un sort pire,
Car ils voulaient les faire cuire.
Quand, tout à coup, ils retirèrent
De leurs rets un petit oiseau
Dont d’abord ils s’estominèrent
Et qu’ils crurent un fin morceau.

L’un s’apprêtait à le plumer,
Lorsque la pauvre bestiole
Jacassa comme une pibole
Et tâcha de les désarmer.
« O braves compagnons, dit-elle,
Je suis grosse comme le poing.
Je n’existe autant dire point


A votre pitié j’en appelle.
Au surplus, je ne vaux pas cher
Comme nourriture. Ma chair
Est coriace, incomestible,
Et d’une amertume indicible.
En revanche, je sais chanter,
Et si vous daignez m’écouter
Pendant votre manger et boire,
Je dégoiserai sans compter
Les beaux airs de mon répertoire. »


Ainsi fut dit, ainsi fut fait.
Et ces crapules en effet
L’épargnèrent. Et cela fit que
Ils festinèrent en musique.

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Le Poète est précisément
Pareil à cet oiseau charmant.

Parmi les hommes, solitaire,
Il n’est bon qu’à chanter sur terre,
Laissez-le vivre dans son coin,
Loin de vos querelles, et loin
De vos immondes politiques,
Il se fout de vos républiques,
La Beauté lui prend tout son soin.


Il ne comprend rien à vos villes,
A vos dissensions civiles,
Il n’a qu’un pays, c’est le ciel,
Et qu’un devoir essentiel
A partir du jour qu’il sait lire,
C’est racler de son mieux sa lyre.
Considérez, si vous voulez,
Qu’il est un plaisant phénomène ;
Mais, de même, vous rappelez
Qu’un Dieu supérieur le mène.
Et puis… tuez-le, mangez-le,
Si le cœur vous en dit, parbleu !
Il est un être de souffrance
Eternellement sans défense,
Mais, pauvres gens, ne croyez-pas
Que vous en deviendrez plus gras.




RAOUL PONCHON
le Courrier Français - janv. 1905

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