14 sept. 2007

LOIN DE LA JOIE
Or, une fois la noce faîte,
Une fois tus les violons ?
Remisés les habits de fête,

Bijoux trop lourds, manteaux trop longs,

Le Prince aima sa Jouvenette
Certainement pendant huit jours ;
Mais - tel un air de clarinette -
Ca ne peut pas durer toujours.

Il trouva que la bergeronette
Hors les heures d’effusion
Avait une âme trop simplette,
Manquait de conversation ;

Par conséquent sans intérêt.
Et, de même aussi, la nature
Qui l’avait un instant distrait,
Lui parut sans littérature

Cependant que sa douce reine
Etait telle qu’au premier jour,
Délicieusement sereine
Et toute confite en amour.

Un jour donc, d’humeur plus grognonne,
Il lui dit à peu près ceci :
« Non, décidément ma mignonne,
« On se rase par trop ici ;

« Certes, c’est charmant la campagne,
« Mais quand il pleut, c’est embêtant,
« D’ailleurs, il faut que je regagne
« Ma capitale où l’on m’attend.

« Aussi, c’est chose décidée,
« Demain au plus tard nous partons…
« - Eh quoi ! tu pleures ? quelle idée ? -
« Fais nos malles, prends tes cartons. »
Dès arrivée - quelle folie ! -
De ce Prince le premier soin
Fut de reléguer sa jolie
Et douce dame dans un coin

Du palais, parmi les femelles
Sans nombre, là pour la servir,
Mais qui bien plutôt, les chamelles,
S’empressèrent de l’asservir ;

Car, tandis qu’une orde mégère
Otait à cette pauvre enfant
Ses humbles habits de bergère,
Une autre, d’un air triomphant,

Lui passait une robe à traîne
Où l’or le disputait à l’or
Et sur son front de souveraine
Faisait ruisseler un trésor.

Puis, on lui farcit la cervelle
Pour qu’elle fût à la hauteur
De sa situation nouvelle,
De maint maerterlincquois auteur ;
*

On lui fit avaler des proses
Écrites - on croit - par Hermès ;
Elle eut des docteurs es névroses
Et des professeurs de barrès.

- C’était l’ordre formel du Prince
Qu’on l’éduquât à son instar,
La trouvant beaucoup trop « province »
Pour lui, somme toute, un César !

Il l’avait donc mise en consigne,
De la sorte, jusques au jour
Qu’elle serait capable et digne
De paraître devant sa cour.

« Je suis la très humble servante
Disait-elle - de mon seigneur,
Je veux bien devenir savante,
Si ça peut faire son bonheur. »

L’amour qui fait tant de miracles
En fit un de plus. Elle apprit
Tout ce qu’on voulut, sans obstacles ;
Elle devint femme d’esprit.

Et même, en moins d’un an bissexte
Elle put lire - oh ! Mais très bien -
Ibsen et Bjoerson dans le texte
Comme le patois sarceyen…

Si bien qu’un jour, jour d’allégresse !
On vint apprendre au souverain
Qui jouait avec… la négresse
Que sa femme était « dans le train ».

Cela le jeta dans l’extase.
Il voulut aussitôt la voir,
Et dès qu’il eût dit une phrase
Il s’étonna de son savoir.

Dès lors, jour et nuit, lui et elle
Avec le même cher émoi,
Et l’aide d’une forte échelle
Descendaient au sein de leur moi ;

Sans autre soin qui les réclame,
Nuit et jour chacun d’eux plongeait
Dans ses respectifs états d’âme,
A faire envie à P. Bourget ;

Ils mangeaient pour toute cuisine
Des bouquins de Schopenhauer,
Tout en se piquant de morphine
Et se gargarisant d’éther.

Bref, à bout de leur énergie,
Ces deux Chinois de paravent
Moururent de… psychologie
Sans avoir fait le moindre enfant.



Raoul Ponchon





Aucun commentaire: