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Les tronçons de l'Amant
Je pleure nuit et jour et dans les cabarets
Jour et nuit je me vautre,
Depuis que ma maîtresse aux yeux bleus et clairets
M’a quitté pour un autre.
Elle était adorable, exquise, ai-je besoin,
Lecteurs, de vous le dire ?
Dans toute sa personne il n’était pas un coin
Où je n’aimais à rire.
Et la chère en avait de ces coins et recoins
Aux ombres coralines
Sans compter de nombreux agréments blancs non moins
Que les lis des collines.
Elle m’aimait, du moins elle me le disait,
Et je crus en la belle
Beaucoup plus qu’aux exploits de monsieur Pertuiset,
A quoi je suis rebelle.
Ce qui nous sépara, c’est son goût huguenot
(Cet avis est le nôtre)
Pour ce qu’on nomme la musique de Gounod,
Tandis que j’aimais l’autre…
*
*... *
…Plus tard (comment cela m’était-il arrivé ?
Je n’en sais rien encore)
J’errais, pensif, dans un appartement privé
Que le luxe décore ;
Quand un affreux spectacle à donner des frissons
A l’homme le plus chauve
S’offrit à mes regards : un homme en deux tronçons
Gisait dans une alcôve.
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Ces tronçons mutilés n’étaient pas, tant s’en faut,
D’une grosseur égale,
Cet homme avait été coupé presque au défaut
De…l’épine vitale.
Ici, c’étaient le tronc, les jambes et les bras,
La tête, là le reste,
Un rien que tout d’abord on n’apercevait pas,
Un souffle, un ziste, un zeste ;
Et ce petit morceau, tuméfié, sanglant,
Sentant la mort prochaine,
Cherchait à regagner le plus grand, tel un gland
Qui regrette son chêne.
Une chose pourtant d’un doute m’accablait,
Confondait ma pensée ;
Pour s’être mutilé de la sorte, il fallait
Une échine exercée…
Car, remarquez qu’il n’avait pas été tranché
A l’aide d’une lame,
Puisqu’on voyait encore à sa proie attaché
Un râtelier, madame !
Non, pensais-je, pourtant, cet homme n’a pas dû
Se faire ça lui-même…
Quand dans l’ombre je vis, l’œil hagard, éperdu,
Cette beauté que j’aime,
Ma maîtresse infidèle, hélas ! et je conçus
Aussitôt cette lutte
Où la femme d’abord avait pris le dessus
Au fort d’une dispute ;
Nos amoureux, le soir, au lieu de roupiller,
Tous les deux en ribote,
Dans le sein de l’alcôve ont dû se chamailler
A propos d’une botte ;
L’un sans doute parlait d’aller se trimbaler
Dans le bois de Vincennes ;
L’autre ne voulait pas en entendre parler ;
Je vois d’ici la scène.
La femme, dans le feu de la discussion,
A, d’une dent féroce,
Tranché le nœud tendu de la situation.
Ah, dis-je, sale rosse !
Mais le plus gros morceau, voyez-vous l’animal !
Dans un geste suprême,
Me dit : « Surtout, l’ami, ne lui fais point de mal
Car encore je l’aime ;
Et je tiens à mourir, et je meurs sans effroi,
J’en jure par Sainte Thècle* !
Parce que je n’ai pas d’autre rime sur moi,
D’une mort fin de siècle. »
RAOUL PONCHOND’une grosseur égale,
Cet homme avait été coupé presque au défaut
De…l’épine vitale.
Ici, c’étaient le tronc, les jambes et les bras,
La tête, là le reste,
Un rien que tout d’abord on n’apercevait pas,
Un souffle, un ziste, un zeste ;
Et ce petit morceau, tuméfié, sanglant,
Sentant la mort prochaine,
Cherchait à regagner le plus grand, tel un gland
Qui regrette son chêne.
Une chose pourtant d’un doute m’accablait,
Confondait ma pensée ;
Pour s’être mutilé de la sorte, il fallait
Une échine exercée…
Car, remarquez qu’il n’avait pas été tranché
A l’aide d’une lame,
Puisqu’on voyait encore à sa proie attaché
Un râtelier, madame !
Non, pensais-je, pourtant, cet homme n’a pas dû
Se faire ça lui-même…
Quand dans l’ombre je vis, l’œil hagard, éperdu,
Cette beauté que j’aime,
Ma maîtresse infidèle, hélas ! et je conçus
Aussitôt cette lutte
Où la femme d’abord avait pris le dessus
Au fort d’une dispute ;
Nos amoureux, le soir, au lieu de roupiller,
Tous les deux en ribote,
Dans le sein de l’alcôve ont dû se chamailler
A propos d’une botte ;
L’un sans doute parlait d’aller se trimbaler
Dans le bois de Vincennes ;
L’autre ne voulait pas en entendre parler ;
Je vois d’ici la scène.
La femme, dans le feu de la discussion,
A, d’une dent féroce,
Tranché le nœud tendu de la situation.
Ah, dis-je, sale rosse !
Mais le plus gros morceau, voyez-vous l’animal !
Dans un geste suprême,
Me dit : « Surtout, l’ami, ne lui fais point de mal
Car encore je l’aime ;
Et je tiens à mourir, et je meurs sans effroi,
J’en jure par Sainte Thècle* !
Parce que je n’ai pas d’autre rime sur moi,
D’une mort fin de siècle. »
le Courrier Français - 15 déc. 1889
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