10 oct. 2008

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le " MAHOMET "
en question
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Henri de Bornier écrit "Mahomet ", drame en 5 actes, en vers.
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Or, Henri de Bornier *, empereur de pochards,*
Caporal de la métaphore,
Qui d’une main écrit des vers rigolbochards
Et de l’autre tient une amphore,

Dans un de ces moments rares qu’il n’est pas soûl,
Lisait l’Alcoran du Prophète
Et disait : « Nom de Dieu, ça ne vaut pas un sou ;
Ce livre est une œuvre surfaite ;

« Quand je pense que le cochon défend le vin !
Est-il plus goitreuse hérésie ?
Moi qui le fais rimer avecque jus divin,
Voire même avec ambroisie.

« Autant défendre à l’homme aussi de respirer,
Ou bien de caresser la femme ;
Aux peintres de se faire décorer
Et de rechercher la réclame.

« Il me faut flageller ce sale Mahomet
Avec le fouet de la satire,
Et lui dire son fait pour l’abus qu’il commet. »
Ainsi parlait ce vieux satyre.

Et laissant là son verre, il prit, laborieux,
Sa bonne plume de Tolède
Et commença d’écrire, en la langue des dieux
Que parle monsieur Déroulède,

Un factum coriace, en patois musulman,
D’après sa propre prosodie,
Qui devint, tour à tour, ode, sonnet, roman
Et finalement tragédie ;


Car sous les doigts bénis de ce roi des pompiers,
Tout se transforme en tragédie.
Celle-ci se traînait sur d’innombrables pieds ;
La syntaxe en était hardie,

Les vers en étaient longs, ou petits, ou moyens
Selon son âpre fantaisie,
Afin de plaire au goût de tous les citoyens
Qui se piquent de poésie.

Une fois faite, à ces messieurs du Comité
Fut la lire notre Euripide ;
Elle fut acceptée à l’unanimité,
Car elle était trois fois stupide ;

Le néant s’y jouant avec ce qui n’est plus,
L’insipide avec l’incolore,
Emmi des adjectifs mort-nés ou vermoulus :
Jardin sinistre, morne flore.

Ces messieurs eurent tôt, avec leur passion,
Déblayé ses actes compactes
(1)
Si bien qu’après trois ans de répétition
Ils en savaient quelques entr’actes.

Ah ! l’on ne chôma pas pendant ces trois ans-là,
Je vous assure, et la première,
Faisait déjà rêver notre auteur, quand voilà
Que, plus vite que la lumière,

Le bruit se répandit de cet évènement
Considérable, dans l’espace ;
El comme les sultans – encore que rarement,
Savent parfois ce qui se passe,

Le grand Habdul-Hamid, l’impérial portier
Qui veille à la sublime porte
L’apprit comme quiconque, et sachant son métier
De roi que la colère emporte :

« Oh ! oh ! je n’entends pas de cette oreille-là,
Dit-il, que je perde la tête,
Si je permets jamais qu’on touche, par Allah !
A Mahomet, notre prophète !

« Allez dire à ce Tribulat Bonhomet
Qu’il ait à n’aller point plus outre,
Que s’il persiste encore à navrer Mahomet,
A l’instant je lui ferai foutre

« Un grand paratonnerre aiguisé dans le cul,
Qui lui sortira par la nuque ;
A moins, pour qu’il ne fasse aucun mari cocu,
Que je ne le change en eunuque. »

Or, Bornier, qui toujours en tient pour la beauté,
Et qu’on sait porté sur sa bouche,
Qui veut bien absorber, mais par un seul côté
Ainsi qu’un ivrogne farouche,

Ne rétipola point et se le tint pour dit.
Puis, désâmé, le cœur en pièce,
D’un pas lent, et marquant six heures pour midi,
Il alla retirer sa pièce.


« Foutu, mon Mahomet ! hurlait le malheureux,
J’ai de la guigne, quoi qu’on die,
Les Français ne la joueront pas, tant pis pour eux,
Mon admirable tragédie ;

« Je l’avais faite, hélas ! les cieux m’en sont témoins !
Douce comme un clystère, amène,
Je t’y avais fourré trois songes, pour le moins,
Et cinq récits de Théramène ;

« J’y faisais, comme il sied, parler des confidents
Qui vous respectaient la césure
Toujours ! et rien n’avait été coupé dedans
Par les ciseaux de la censure.

« On y voyait aussi de nombreux qu’il mourût,
Mitigés dans le dialogue,
Par qu’un beau désespoir alors le secourût.
Faut-il que ce Sultan soit drogue ! »

Ainsi parla Bornier, empereur des pochards.
Il se consola, par la suite,
En attrapant avec ses amis balochards,
De temps en temps, la forte cuite.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
23 mars 1899
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(1) Il paraît que, depuis 1877, on écrit compact au masculin
quand on l’emploie au masculin. Je m’en fous.

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