13 sept. 2007

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La Politesse est morte

à Adrien Sporck


Politesse de nos aïeux, vous êtes morte,
Il paraît. On le dit.
Vous êtes tout au moins, chez nous, en quelque sorte
Tombée en discrédit.

Je parle de la politesse envers le sexe,
Il est bien entendu.
L’autre, de celle-ci, n’est guère qu’une annexe,
Sinon du temps perdu.

On peut se demander pourtant, non sans tristesse,
Et pour se consoler,
Si les femmes toujours - en fait de politesse -
Ont le droit de parler ?


Pas toujours. Tenez hier, et par des temps infâmes,
J’étais dans un tramway
Archi-complet, rempli de jeunes gens, de femmes,
Plus un vieil homme, moué.


Or, à l’un des arrêts de notre itinéraire,
Le chauffeur s’arrêta.
Et personne ne descendit. Bien au contraire,
Une dame monta.

Qui dut se contenter de l’humble plate-forme,
En attendant que l’un
De nous voulût bien lui céder, selon la norme,
Sa place assise… Aucun

N’y songeait, surtout moi, je dois le reconnaître.
Par un temps hivernal,
Pensez-vous ?… Mes voisins, de même, affectaient d’être
Plongés dans leur journal.

Est-ce qu’elle était jeune ou mûre, ou d’avantage…
Je n’en sais, ma foi, rien.
" Le sexe, dans ce cas, direz-vous, n’a pas d’âge. "

Eh ! Parbleu ! J’entends bien…
Oui, mais, je me trouvais, ce jour-là, d’aventure,
Grippé jusqu’à la mort,
Et je n’avais sur moi, pour toute couverture,
Que l’âpre vent du Nord.

Puis, étant le doyen des voyageurs - songeais-je -
Je ne vois pas pourquoi,
Plutôt que ces messieurs, je quitterais mon siège ;
Je me tenais donc coi,

Et pendant ce temps -là, la pauvre créature,
Comme bien vous pensez,
Lançait, à tout ce monde occupant la voiture,
Des regards courroucés.

« Qu’il ne se trouve pas - semblait-elle nous dire -
Un homme assez galant,
Parmi vous tous, pour prendre en pitié mon martyre,
C’est un peu violent.

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Il ne s’en trouvait point ? Devant tant d’égoïsme,
Tant d’inhumanité,
Moi, qui ne pousse pas jusques au fanatisme
Le soin de ma santé,

Quitte à crever de froid, je quittai donc ma place,
Et je la lui cédai.
La dame aurait bien pu, je crois, me rendre grâce
De mon bon procédé…

Il n’en fut rien. Bien mieux, la maudite pécore,
Tout en me bousculant,
Me dit : « C’est pas trop tôt ! ». Aussi je suis encore
Comme « deux ronds de flan ».
*

C’est bon… à l’avenir, je jure bien , bagasse !
De n’être plus si sot,
Madame, et si jamais je vous cède ma place,
Eh bien, il fera chaud !


Raoul Ponchon

le Journal - 13 fév. 1911
La muse au cabaret


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