13 sept. 2007

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LA CAILLE


Un jour, Adam dit à son Eve :
« Hélas ! nous sommes donc réduits
A ne manger rien que des fruits ?
Ca n’est pas mauvais…mais je rêve
De mets un peu plus inédits.



J’estime, ou le Diable m’enlève,
Qu’il en est dans le Paradis.
Ainsi tous ces oiseaux sonores,
Aux plumages multicolores,
Qui s’égosillent nuit et jour,
Je suis convaincu, mon amour,
Qu’ils sont mangeables. Aussi vais-je
Essayer d’en prendre un au piège. »


Adam était industrieux
De naissance. Sans plus attendre,
Il fit un piège de son mieux,
Et sut si savamment le tendre
Qu’une caille s’y laissa prendre.
Il la fit rôtir simplement
Sur un joli feu de sarment,
Non avant qu’il ne la souligne
D’une fraîche feuille de vigne.
Et vous pensez si ce jour-là,
Notre couple se régala.


Je vous entends dire : une caille
Pour deux, quelle maigre ripaille !…
Certe il est vrai que de nos jours,
Ca nous semblerait un peu court.
Mais, à ces époques heureuses,
Les cailles étaient monstrueuses,
Et les feuilles de vigne itou
Par décret du Grand Manitou,
Expert en choses merveilleuses.

Or, Adam, quelques jours après,
Prit une autre caille en ses rets.
L’ayant apportée à sa femme,
Il lui dit : « Voilà, ma chère âme.
Tu la feras cuire à ton tour,
Car aujourd’hui j’ai la migraine.
Je vais prendre un peu d’oxygène
Sur les collines d’alentour. »

Elle la fit donc rôtir comme
Elle avait vu faire son homme,
De sorte qu’au déclin du jour,
Quand celui-ci fut de retour,
Il eut la surprise agréable
De voir sa caille sur la table,
Troussée et parée avec soin,
Appétissante et cuite à point.
Il l’a tout de suite jugée.
Et dès la première bouchée :
« Oh ! Oh ! mes compliments, fit-il,
Cette caille est encore meilleure
Certes que l’autre, ou que je meure !
Elle a un parfum plus subtil.
- Tu dis ça parce que tu m’aimes !
- Non, non, c’est la vérité même.
- Pourtant, je te jure, ma foi
J’ai fait ni plus ni moins que toi,
N’étant pas autrement maligne ;
Sauf, qu’en fait de feuille de vigne,
J’ai pris, ainsi que tu le vois,
Dit la suave créature,
Celle-là que j’avais sur moi,
Qui me tenait lieu de ceinture. »


Raoul Ponchon
« Fantaisies et Moralités »
Les bibliophiles du Cornet
1935
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