13 sept. 2007

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« ET NUNC, MULTIPLICAMINI »
Un gueux avait quatorze enfants
Parfaitement d’équerre,
Aussi gros que des éléphants,
Il ne s’en fallait guère.

Comment cet infortuné bour,
N’ayant ni sou ni maille,
En somme s’y prenait-il pour
Nourrir cette marmaille ?
C’était l’étonnement d’autrui,
Et l’éternel problème.
Et pourtant sa commère et lui
S’en tiraient tout de même.

Travaillant la nuit et le jour
Et malgré mille obstacles,
Ils joignaient les deux bouts : l’amour
Vous fait de ces miracles.

On y lisait, - s’il a bien lu, -
Qu’au beau pays de France
Les décès l’emportent de plus
En plus sur les naissances.

Qu ‘aujourd’hui tous nos bourgeois en
Etat de mariage
Ne font plus d’enfants, qu’à présent
Le Français dort trop sage…

Que si ça continue ainsi
Encor quelques années,
Nous serons tôt à la merci
Des nations mieux nées,

Qu’il s’agit de perpétuer…
Quant aux célibataires
On les dit bons à tuer,
Ainsi que des vipères.

« Tiens, dit notre gueux triomphant
A sa gueuse de femme,
Les bourgeois ne font plus d’enfants
Et l’Etat en réclame !
« Nous qui, grâce au ciel, en avons
A ne savoir qu’en faire,
Et qui, chaque an, récidivons,
Voilà bien notre affaire.

« Je m’en vais prendre dextrement
Ma plume de Tolède
Et prier le Gouvernement
De nous venir en aide.

« Car, si l’Etat en a besoin,
Il me paraît logique
Qu’il commence par prendre soin
De ceux qu’on lui fabrique… »

Ainsi parlait, dans sa candeur,
Ce papa prolifique.
L’Etat, du haut de sa grandeur,
Lui rendit sa supplique.

Pauvre homme, en vain tu l’invoquas
Pour tes quatorze drilles ;
L’Etat n’a pas prévu le cas
Des nombreuses familles !

L’Etat prend tout, ne donne rien.
Travaille et t’évertue
Pour tes enfants, bon citoyen,
Va, c’est peine perdue.

Plus tard il saura les trouver,
Et, sans cérémonies,
Il te les enverra crever
Au sein des colonies…


Et maintenant, mon vieux lapin,
Pour combler ta misère,
Va faire un quinzième bambin
A ta brave commère.



Raoul Ponchon
le Journal,
le 19 fév. 1900

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