13 sept. 2007

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LE MIE PRIGIONIE
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Oui, l’aut’jour - mon jour de purge -
J’m’en allais à patte su’ l’dos,
Quand v’la qu’un sergot s’insurge
Et m’fout au poste illico.

C’t’ arrestation arbitraire
Eut lieu boul’vard Italien :
C’est là qu’avais eu affaire,
Y’a des jours où l’on s’met bien.

On m’colla, non mais est-c’chouette ?
Dans un tout petiot dortoir ;
Un lit en cuir de brouette
Sans mate’las visible à voir.

Malgré c’t instrument d’martyre
Qu’avait un goût d’renfermé
A vous autre’je puis bien dire
Que j’dormis à poings fermés.

Lorsque l’Aurore aux doigts d’rose
Ouvrit les portes d’l’Orient,
Un grand diable, un pas grand chose
Vint m’sortir de mon néant.

- Ah ! Que j’dis, c’est vous Phémie,
Qui m’portez mon chocolat ?
Il est donc onze heur’ et d’mie ?
Ca va bien, mettez ça là.

Mais j’ouïs une voix sévère
Qui m’répondit : Tra la la,
Il faut v’nir chez l’commissaire,
Allons, et plus vit’ que ça !

Je m’en allai donc plus vite
Que la précipitation,
Transbahutant ma pituite
Dans c’t’autre administration.

Quand j’vis l’commissair’paraître
Je l’gobai tout aussitôt ;
L’entretien fut c’qu’il d’vait être
Entre personnes comme il faut.

- Paraît, m’dit cet homme austère,
Qu’hier on vous ramassa soûl.
- Pardon, Monsieur l’commisaire,
J’connais pas Ramassassou ;

A coup sûr, j’avais bu, pisque
J’vous l’dis ; mais, par Saint-Malo !
J’ai t’y cassé l’Obélisque
Ou chopé l’Trocadéro ?

J’ai t’y causé du scandale ?
Poussé des cris séditieux ?
J’mai seulement rincé la dalle :
J’m’en rapporte à ces messieurs.

Quoi ? J’ai fait un peu la fête,
Vu le retour d’un ami ;
J’suis sur que la p’tit’ trinquette
Vous la fait’s quéquefois aussi.

En quoi, Monsieur l’commissaire,
Vous qu’et’s un homme franc, loyal,
S’il m’arrive d’boire un verre
Ca peut-il vous faire du mal ?

On arrête un pauvre ivrogne
Et l’on permet, ah ! Malheur !
A l’assassin sans vergogne
De s’prom’ner comme un voleur.

Faut faire un’ nouvell’ machine
Qu’établisse élégamment
La quantité de chopine
Qu’un homme a l’droit d’boire par an.

C’te fameuse loi sur l’ivresse
Vraiment, elle’ voue pue au nez ;
C’est un’ loi qui déliquescent
Comme ça que fait Jorjaunez.

Ben sûr, c’est pas elle’ qui m’gêne :
Mêm’ je peux dir’ qu’os agents,
S’ils ne m’cueill’nt pas chaque’ semaine,
Ben, ils volent leur argent.

Cett’ république est tordante :
Si j’peux pas boir’ - tu boiras,
La Guyane indépendante
Est là qui me tend les bras.

Enfin ! Monsieur l’commissaire,
S’il vous faut tout d’mêm’ mon sang,
Votre cœur n’est qu’un viscère,
Vous tuez un innocent.

Là d’ssus cet homme honorable
Qu’avait compris mes raisons,
Me dit d’en aller au diable.
Ainsi finit mes prisons.

Libre comme feu Latude
*
J’me suis donc tiré tout droit
Chez l’chand d’vins - par habitude -
Rapport à ma gueul’ de bois.



Raoul Ponchon
18 avr. 1887
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MIE PRIGIONIE : Mes prisons.
voir Silvio Pellico *

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