17 sept. 2007

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CONTE POUR LES JOURS DE SOLEIL

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Sur une terre infortunée
Il paraît qu’il ne tomba pas
Plus d’eau pendant toute une année
Que je n’en prends à mes repas
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Nulle part il ne restait trace
D’herbe aux champs, de feuille au bois,
Et la terre demandait grâce
Par tous ses pores à la fois.

Le soleil buvait les courages ;
Les habitants, les animaux,
Les fleurs, les fruits, les pâturages
Enduraient mille et mille maux ;


Les vaches grasses étaient maigres ;
Les blés, vous voyez ça d’ici,
Etaient plus brûlés que des nègres ;
Les hommes sentaient le roussi.

Comme ils pataugeaient dans l’angoisse,
Voici qu’un père Ramollot,
Un des sages de la paroisse
Leur dit que, s’ils voulaient de l’eau,

Fallait sortir dans les campagnes
Saint Pépin, patron du pays,
Et qu’eux, leurs fils et leurs compagnes
En demeureraient ébahis,

Qu’ils verraient - miracle suprême -
La pluie aboutir aussitôt,
A tel point que dans les champs même
On pourrait aller en bateau.

Le bougre doit avoir à boire,
Pensèrent-ils. On verra bien
S’il se moque de notre poire :
En tous cas l’on ne risque rien.

Ils allèrent donc à l’église
Chercher en cœur leur saint Pépin,
Sans savoir de façon précise
Où pépinait ce vieux lapin.

Pendant un jour ils le cherchèrent
Sans mettre le grappin dessus ;
A la fin, ils le dénichèrent
Alors qu’ils se croyaient déçus.

Il n’était ni d’argent ni de marbre,
Ni sculpté par quelqu’un de l’art,
Mais bien taillé dans un tronc d’arbre,
Je pense, à coups de braquemart.

C’était une simple statuette
Rongée à demi par les rats,
D’apparence plutôt fluette,
N’ayant qu’une jambe et qu’un bras ;

Il avait une barbe en feutre,
Et des clous au nombre de cinq
Pour cheveux. Le reste était neutre,
A part une auréole en zinc.

Vous eussiez dit quelque fétiche
Zoulou sinon topinambou,
Bref, malgré son air je-m’en-fiche,
C’était un très pauvre tabou.

N’importe ! Un saint en vaut un autre
En matière de religion :
As-tu ton saint ? Nous ons le nôtre,
Voilà toute la question.



Ils lui firent quelque toilette,
Complétèrent ses abattis,
Puis lui dirent, la chose faîte :
« Grand saint ! Nous sommes abrutis ;

« Tu vois quelle est notre détresse ;
Que si tu nous as en pitié,
Nous ne ferons rien qui te blesse,
Mais te prendrons en amitié ;

« Si tu consens à ce qu’il pleuve,
O Pépin ! Nous t’élèverons
Une belle chapelle neuve
Où nous irons courber nos fronts. »

Là-dessus et sans plus de phrase,
Ils le campèrent sous un dais
Moitié neuf et moitié d’occase
Porté par quatre grands dadais.

Puis se déroula dans la plaine
Une lente procession,
Chacun du saint, à perdre haleine,
Implorant l’intercession.

Et qu’est-ce qu’on voyait en tête ?
C’est la musique des pompiers.
Et derrière ? La jambe en fête,
Valides comme estropiés.

Dans les campagnes infertiles,
Ils firent les quatre cents pas,
Mais leurs soins furent inutiles,
Car toujours il ne pleuvait pas.

Or ils perdirent patience
A la fin du troisième jour :
« Nous avons en toi confiance,
Crétin, disent-ils, sans détour,

« Voilà trois jours qu’on te promène,
Eh bien, attends, mon vieux salaud,
S’il ne pleut pas dans la semaine
Nous te foutrons le cul dans l’eau. »

Cependant, malgré la menace,
Ce feignant de saint reste sourd,
Mais quand la semaine se passe,
Le povre n’en mène pas lourd.

Dame, aussi, le diable t’emporte !
Pourquoi n’a-t’il pas fait pleuvoir ?
La foi fout le camp, de la sorte,
C’est bien facile à concevoir.

Or ce saint plus que malhonnête,
Au sein du perfide élément
N’eut pas plutôt piqué sa tête
Qu’il plut immédiatement.



Raoul Ponchon

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