15 sept. 2007

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Concours de Beauté

Rien n’est beau que le Beau. Le reste est lamentable
Comme un vin sans raisin ; le reste est une table
Avec rien à boire dessus.

Que le Beau vous attire et soit votre seul guide,
Et tout dans l’Univers vous paraîtra limpide ;
Vous ne serez jamais déçus.

Mais de tout ce qui doit émerveiller votre âme
Je ne sais rien de beau comme une belle femme ;
Le bon Dieu lui-même, messieurs,

Quand il eut fait le sexe auquel je dois ma bonne,
S’arrêta, ne pouvant – tant son œuvre était bonne –
Rien créer de plus précieux.

Or, l’autre hier, j’allais divaguant sur ce thème,
Tout en donnant le prix à la beauté que j’aime,
Quand soudain je fus arrêté

Par un joyeux placard d’une attirance extrême,
Fidèle écho de ma cogitation même,
Et j’y lus : Concours de beauté !
Parbleu, me dis-je à moi, voilà bien ton affaire ;
Un concours de beauté ! telle est la scène à faire :
Cela promet d’être piquant ;

D’autant mieux qu’à Paris les belles créatures
Ça n’est pas ce qui manque, et des riches natures
Le chiffre est assez éloquent.

Je me dirigeai donc, ivre, buvant l’espace,
Vers Neuilly, car c’est là que le concours se passe.
Ma foi, tu vas te rincer l’œil

Fort agréablement, mon gaillard ! m’écriai-je.
…Hélas ! trois fois hélas ! En quel horrible piège
Je me vis tombé, dès le seuil

De ce vain paradis. Niaisement groupées
Tel un jeu de massacre – un lot de vingt poupées
Laides on ne sait trop pourquoi,


Vont estropiant l’air de leur hideur farouche.
Tout en me demandant à quelle heure on les couche,
Pendant un temps je reste coi.

L’une regarde, hélas ! sans le moindre scrupule
Du côté de Pantin si le Panthéon brûle ;
L’autre s’écroule de partout,


Et ses flasques tétons qui ne datent pas d’hier
Pourraient se ramasser avec une cuiller ;
Celle-ci n’en a pas du tout.

N’y pouvant pas tenir, celui que je crus être
Le barnum, Je le pris au coin d’une fenêtre
Et lui fis cadeau de ces mots :


« - Vous avez dû chercher bien longtemps ce me semble,
« Avant de réunir ce magnifique ensemble
« De girafes et de chameaux ?

« C’est à faire dresser mes cheveux sur la soupe ;
« De semblables torchons, vraiment, ça vous la coupe,
« Fût-on le roi des étalons !


« Cette exhibition est contraire aux usages
« Comme à la bienséance : on voit de ces visages,
« Seulement dans des pantalons.

« Tel que vous me voyez, moi, je sais de plus belles
« Femmes que vos beautés, et c’est par ribambelles
« Que, le soir, sur mon paillasson


« Je les trouve en rentrant. Et même, pour mon âge,
« Je joue encor fort bien mon petit personnage,
« Soit dit en passant, mon garçon.

« Maintenant voulez-vous le fond de ma pensée ?
« La somme que pour voir vos veaux j’ai dépensé
« Je la regrette amèrement ;


Je rejoins mon sérail, il est mon seul refuge. »
« - Si tel est votre avis ?... Le public est seul juge, »
Répondit cet homme charmant ;

« Bonsoir, bien du plaisir avec vos belles femmes ;
« Mais avant de partir, pour une de ces dames
« Monsieur ne veut-il pas voter ? »

« - Voter ? Et pourquoi pas ? je n’y vois point d’obstacle,
« Quoique à dire le vrai, devant un tel spectacle,
« On ferait bien mieux de roter ! »

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RAOUL PONCHON
le Courrier Français
26 05 1895
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