25 sept. 2007

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A qui le fauteuil ?
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Muse, dis-moi l’habile
Homme qui s’assoira
Au fauteuil de de Lisle :
Est-ce que ce sera

Un poète anarchiste ?
Un simple symbolo ?
Un vague instrumentiste
Un Virgile ? Un Boileau ?

Quelqu’un de la noblesse :
Le marquis d’Haraucourt ?
Ou quelque moindre espèce :
Un Grandmougin tout court ?

Sera-ce Paul Verlaine
Sur qui rien ne prévaut
Moreas, cet hellène
A lui-même dévot ?


Ou, ce pasteur de mufles,
Tailhade ? Succédant
Au vieux pasteur de buffles
Ca ferait un pendant.

Sera-ce Lacaussade
Au vétuste pourpoint ?
La rime dit : maussade
Et ne s’en dédit point.

Sera-ce Clovis Hugues
Qui rime tout à trac
Plus d’odes que de fugues
N’oeuvra le père Bach ?

Ou bien Paul Déroulède
Qui donne, le soudard,
De son nez de Tolède
Dans le ventre de l’Art ?

Le fatelu vicaire
Qui lit et qui relit
Son patron bréviaire
O Margot ! Dans ton lit ?

Sera-ce un diaphane
Stéphane Mallarmé ?
Rien qu’à ce nom profane
Pingard est alarmé

Fabre qui fait des fables ?
Hélas ! Ou René Ghil
Qui dompte les vocables
En remuant un cil ?

De Strada ? Prolifique
Et célèbre inconnu
Qui fait du genre épique
Un genre oh ! Que menu !

Le vicomte de Cuerne ?
La violette Aicard ?
Ou bien cette baderne
De Stéphen Liégard ?


Rollinat le Macabre ?
Franc-Nohain l’insensé ?
Régnier dont la palabre
Endort le gros Sarcey ?

Dorchain ? Mais en décor
Dorchain comme du chien
Faut-il qu’il soit encore
Académicien ?

Jean Lorrain, à Cythère
Aimé comme Elléviou ?
Le brillant mousquetaire
Robert de Montesquiou.

Ce poète aux poils mauves.
Aède fabuleux,
Auteur des Souris-Chauves
Des Hortensias bleus ?

Signoret ce messie -
On veut croire - d’après
Sa propre prophétie ?
Dujardin, ce cyprès ?

Jhouney le séraphique ?
Pierre Quillard ? Ou Saint-
Pol Roux le Magnifique ?
Ou le pauvre Poussin ?

Rameau qui va-t-en ville
Chez les plus grands seigneurs ?
Xanrof, à Belleville ?…
J’en passe et des meilleurs.




*
* *

Que le diable t’emporte
Qui que tu sois, pénard
Qui franchiras la porte
De la boîte à Pingard !

Mais, quelle chose folle
Vouloir vivre au milieu
De cette nécropole !
Quel destin ! nom de dieu

Allez chez Brunetière
Et chez Thureau-Dangin
Et serrer la cuillère
De Chose et de Machin ;

Flagorner Clarécie
Au nez tout de guingois :
Dire à cette vessie :
Cher maître, votre voix ?

Et sortir de sa malle
Un discours melliflu *
Pour ce vieux duc d’Aumale
Que tu n’as jamais lu ;

Ou ce cercopithèque
De Camille Doucet
Qui parle Zapothèque
En vérité, fou c’est.

Etre dit le collègue
De monsieur Cherbuliez
Autant vaut être bègue
Au bas d’un escalier.

Oui, vraiment l’on recule
Devant ce fourbi-là
Et c’est un ridicule
Que l’on laisse à Zola.


R.P

le Courrier français
05 août 1894

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Au poète
Qui se présente à l’Académie
( variations sur la dernière gazette rimée )



………………………….

…Mais , si tu es poète,
C’est te diminuer
Qu’entrer dans cette boîte ;
C’est te prostituer.

Je doute que tu puisses
Rêver sort plus amer
C’est songer aux lacs suisses
En face de la mer ;

C’est, pour une moufle,
Lâcher un fruit vermeil,
Et contre une camoufle
Echanger le soleil ;

C’est, ayant des étoiles
De premier numéro
Rêver devant les toiles
De monsieur Bouguereau ,

C’est trouver la nature
N peu couci-couci,
Et dire : ma verdure
C’est un peu de persil ;

Troquer son diadème
Dieu sait pour quel chapeau ;
Quitter le rang suprême
Pour… ma foi… pour la peau

C’es- le cul de la veille
Que tu veux, quand tu as
Une muse vermeille
Qui te presse en ses bras ;

C’est ton temps qui se passe
Avec de vieux messieurs
Quand tu peux face à face
Causer avec les Dieux !

*
* *

…Oui… je sais… Lamartine
Hugo, Vigny, Musset…
Je sais cette tartine
Que tout le monde sait.

Ces maîtres de la lyre
Evidemment ont eu
Un moment de délire
Qui bien vite s’est tu.

Oui, sans doute, ils en furent…
Mais aussi, souviens-toi
De ces fiertés qu’ils durent
Débourser à l’octroi.

Les navrantes visites
A des Roger Collard.
Des Ostrogoths, des Scythes,
De fangeux Abélards

Se payèrent leur tête.
Avec ça que Hugo
Ce prince des poètes
Fut reçu tout de go ?

Il dut, cette âme fière
Pour atteindre un fauteuil
Laisser au vestiaire
Son magnifique orgueil.

Et de Vigny farouche ?
Sans pudeur immolé
Par cette fausse couche
Qu’on appelait Molé ?

Et Leconte de Lisle
Blagué par Dumasfils
Come un simple imbécile
Pendant trois heures six ?

Musset ?… il était ivre
Quand il s’est présenté
Et tel n’a pu survivre
A son absurdité.


*
* *

Laisse aux faiseurs de prose
Ces fauteuil rebutants,
Toi, respire les roses
Aux lèvres du Printemps ;

La vraie Académie
O Poète, mon fieu,
C’est l’amour de sa mie
Et la crainte de Dieu.


Raoul Ponchon
le Courrier français
12 août 1894


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