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LE SCAFERLATI DOUX
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Il paraît que l’Etat va nous vendre du tabac sans nicotine.
( Journaux )
Or l’Etat, fumeur, mon bonhomme,
Dispensateur de tes mégots,
Et qui tient à tes bronches comme
A ses propres petits boyaux ;
Voyant, chaque jour davantage,
Les fumeurs devenir morts,
- Gens de tout sexe et de tout âge -
S’est dit, comme pris d’un remords :
« - Sans doute que la nicotine
C’est elle le sombre animal,
Et la détestable mâtine
D’où te vient, fumeur, tout le mal.
« Que, si je croyais en principe
Pouvoir t’empêcher de fumer,
Ce serait, nom d’une pipe !
De mes forces trop présumer.
« Outre, qu’ayant le monopole
Du tabac, je n’ai point sujet…
Ce serait perdre, bénévole,
Un élément de mon budget.
« Aussi bien, tel n’est pas mon rêve.
Mon rêve est plus beau, plus sensé.
Et je n’aurai cesse, ni trêve
Qu’après l’avoir réalisé.
« Voici : dans mes laboratoires,
A l’aide de mes alambics,
Par des procédés péremptoires
Que doit ignorer le public,
« Je prends au tabac son arôme,
Son âme, sa sève, sa fleur,
Je n’y laisse pas un atome
De ce qui le met en faveur…
« Bref, je le décotinise.
J’en fais un doux « scaferlati »,
Du « caporal » - qu’on se le dise -
Bon pour un jeûneur Merlatti !
« Et maintenant, race damnée
De fumeurs, tu peux désormais
Fumer comme une cheminée,
Et sans t’empoisonner jamais.
« Au surplus, à l’accoutumée,
Que demande un fumeur au fond ?
C’est de faire un peu de fumée,
Et de l’envoyer au plafond ;
« De la suivre dans ses volutes
Qui vont se dissipant dans l’air…
Avec mon tabac, pauvre brute,
Tu fumeras autant qu’hier.
« Mes cigares, mes cigarettes
N’étaient déjà plus qu’un copeau ?…
Je les veux encor plus abstraites :
Tu es mûr pour fumer la peau.
« Et chacun y trouve son compte,
Ce tabac t’étant moins amer,
Et moi, je te le dis sans honte,
Pouvant te le vendre aussi cher,
« J’y gagne même, moi pas bête,
Car je puis faire, sans déchoir,
De cette nicotine abstraite,
Une essence pour ton mouchoir. »
R.P
le Journal - 16 juil. 1906
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