20 sept. 2007

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Nous sons cochers
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Nous sons cochers,
Nous sons faits pour marcher.
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(Air connu)
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Les cochers ne sont pas polis,
Ils sont de nature irritables.
Encore, s’ils étaient jolis !
Mais ils sont laids comme le diable.

On ne peut les faire marcher
S’ils n’en manifestent l’envie :
Alors qu’ils aillent se coucher,
Qu’ils disparaissent de ma vie !

Hier j’étais à l’Odéon
A des heures – mon Dieu – nocturnes,
Quand j’avise un ôtez-moi donc
A la lune chauffant ses burnes.
« Cocher, lui dis-je, au Panthéon…
Je sais bien…mais, un bon pourboire…
Eh ben, qu’il me dit, mon cochon,
C’est pour te foutre de ma poire ? »

Je lui proposai beaucoup d’or :
Quelque chose comme une grosse
De billets bleus…Que sais-je encor ?
Une de mes fermes en Beauce.

Il m’engueula comme un…cocher,
M’accabla d’ un vocabulaire
Qu’il aura à se reprocher
Quand viendra le jour de colère.
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Il m’appela salaud, fourneau,
Vieux colis et gland de potence,
Vache, outil, paquet, veau, chameau,
Et résidu sans importance

De son dîner d’hier matin,
Tapette, échappé de capote,
Fils de garce et fils de putain,
Voyageur à six liards la botte,

Maquereau, feignant et cocu,
Mouche à merde et ver à saucisse,
Sans compter : espèce de cul,
Ainsi que : ragoût de matrice ;

Il me dit même que sa sœur
A mon portrait entre ses jambes…
« Pardon, lui dis-je, vieux farceur,
Ici, de sot orgueil tu flambes.

D’abord je n’ai pas d’intérêt
Immédiat, je m’imagine,
A ce qu’on mette mon portrait
Dans les jambes de ta frangine ?... »

Il eût bien pu m’en dire ainsi
Au moins pendant l’année entière,
J’aurais pu lui répondre aussi,
Mais, à quoi bon ?... Pourtant, ma chère,



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Comme malgré ma belle argent
Il ne voulait pas me conduire,
Je fis tant de bruit qu’un agent
Vint à moi, plutôt pour me nuire.

On croit à tort que les agents
Sont, malgré leurs mines bourrues,
Pour maintenir entre les gens
La discipline dans les rues,

Faciliter le va-et-vient
Des citoyens qui citoyennent ;
C’est le rôle qui leur convient,
Ah bien oui, va-t-en voir s’il viennent !

Ce sont de grossiers vachers
Qui, fuyant toutes entremises,
S’entendent avec les cochers
Tels des culs avec des chemises.

L’agent à qui je m’expliquai
Très humblement et sans riposte,
Ce ne fut pas bien compliqué,
Me conduisit tout droit au poste.

Là, sans broncher, sans sourciller,
Il m’accusa dans son délire,
D’avoir voulu le violer,
L’incendier, le circoncire…

« Qu’avez-vous à répondre à ça ?
Me dit monsieur le commissaire.
Rien. C’est bien ce qui se passa,
L’agent ne peut qu’être sincère ;

Mais, quant à vouloir mener loin
Un cocher ?... tiens, la belle affaire !
D’un cocher aurais-je besoin
Si je n’avais qu’un pas à faire ? »



RAOUL PONCHON
le Courrier Français

05 juillet 1891
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