20 sept. 2007

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Sarcey végétarien
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Homme influent, consacré de son vivant , faisant la pluie et le beau temps, Frédéric Sarcey , notre oncle à tous, comme disait Alphonse Allais, était un critique théâtral redouté. (faisant du conformisme sa ligne directrice en matière de critique. Il s'agissait, pour lui, de suivre et d'exprimer les goûts du public dont il devient le "secrétaire").
Ponchon se moque de lui… mais Sarcey acceptait l’humour !
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Décidément, quel aimable,
Estimable
Rigolo notre oncle fait !
Il réjouit notre rate
Et ne rate
Que rarement son effet.

Que l’on lise ses articles,
Ses chroniques,
Ou ses feuilletons du Temps,
C’est à se rouler, se tordre,
A se mordre
Le derrière avec les dents.

N’accueillez pas cet Alcide
Impavide
Pour un sourire moqueur,
Car quoi qu’il dise ou qu’il fasse,
Sur sa face
On lit le fond de son cœur.

Il dit ses peines, ses joies
Et ses voies.
Il dit chacun de ses pas ;
De même vers quelle grève
Va son rêve,
Mais on ne le comprend pas.

Chaque matin nous apporte
Une sorte
De bulletin de son moi ;
Son âme pure et sans tache
S’y détache
Et nous cause un doux émoi.

Il dit ce qu’il pense ou mange ;
Quoi d’étrange !
Le brave homme sait très bien
Que tout ce qu’il accouche
Qui le touche
Nous intéresse combien !


Seigneur, faîtes qu’il conserve
Cette verve
Jusqu’à la fin de ses jours
Qui nous est une musique
Séraphique
Qu’on voudrait ouïr toujours.

Donc, pour que nul n’en ignore,
Hier encore
Ce sage épicurien
Nous disait dans cette prose
Qui s’impose
Qu’il est végétarien ;

Non, plutôt végétariste,
En artiste,
N’ayant pas atteint encor
Le terrible rigorisme,
Le bouddhisme
Du bon poète Bouchor

Qui, dans sa rigueur extrême
N’admet même
- A ce point convaincu -
Pas le moindre pet de nonne
Qu’il soupçonne
D’avoir déjà trop vécu.

Tandis que notre gros père
Vous opère
D’une tout autre façon,
Puisqu’il veut bien à sa table
Confortable
Que figure le poisson :

Maquereaux, soles, anguilles,
Bars, équilles,
Esturgeons, mulets, turbots,
- Qu’il prend pour de la légume,
Je présume, -
Harengs, dorades, barbeaux,

Des catillons et des strigles
- Poissons bigles -
D’ailleurs inconnus…car il
Faut à cet chtyovore
Du phosphore
Qui rend le cerveau subtil.



Puis il mange des patates,
Des tomates,
Des salsifis peu vivants,
Des haricots où l’azote
Met sa note
Et qui lui foutent des vents.

En quelque sorte il s’entraîne,
Il réfrène
Ses appétits viandailleurs,
Mais c’est un végétatique
Schismatique,
Et l’Evangile est ailleurs.

Et pourtant, en fin de compte,
S’il se dompte,
Il faut louer son effort,
Puisque lui-même déclare,
Le barbare,
Qu’il prise la viande fort.

Naguère il bâfrait des tranches
Des éclanches
De bœuf, de mouton, de veau
Plus larges et plus épaisses
Que ses fesses,
Et n’en laissait que la peau ;

Des pâtés, des ratatouilles,
Des andouilles,
Et des gibiers - ça qu’est bon ! -
Il se rinçait la gargoine,
Tel un moine,
Avec du gros gras jambon.



C’était défier sa panse,
Comme on pense
Il s’en aperçut à temps,
Voyant ses forces psychiques
Et physiques
Baisser depuis soixante ans.

Il devenait lourd, difforme,
Maigre, énorme,
Goitreux, gâteux, muet, sourd,
Bancroche, idiot, podagre,
Et chiragre,
Long en même temps que court.

Tous les maux du corps, de l’âme,
Oui, madame,
Il en était le séjour ;
Il pouvait à peine abattre
Trois ou quatre
Méchants articles par jour.

Grâce à son nouveau régime,
Il estime
Qu’il a l’esprit plus dispos,
Le sang frais comme une rose
Fraîche éclose,
Qu’il dort, digère à propos.

Ses selles sont abondantes,
Redondantes
(Une fois matin et soir),
La matière en est louable,
Remarquable,
A mettre sur un dressoir.

Plus nettes sont ses idées,
Moins ridées,
C’est lui qui le dit, du moins
Et son bon gros sens s’affine,
Paraffine,
Nous en sommes tous témoins

Il est plus opiniâtre
Au théâtre,
S’il se peut, et, moins souvent
Il a recours à Lemaître
Pour se mettre
Au courant du mouvement.

Sa phrase est bien moins mafflue,
Elle flue
Comme un ruisseau dans les bois,
Et l’on voit pousser son verbe
Telle une herbe,
Dans cent journaux à la fois

*
* *

Hélas ! ô sort éphémère,
Ö chimère !
Hier, avant de me coucher,
J’apprenais que ce cher maître
Venait d’être
Massacré par son boucher.




Raoul Ponchon
le Courrier Français - 24 sept. 1893
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