27 sept. 2007

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Ode au « Petit-Sucrier »
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Ode à Max Lebaudy, nommé "le petit sucrier", fils à papa pourri par l'argent.
Né en 1873, il se retrouve, à sa majorité, à la tête de 27 millions de francs hérités de son père, le raffineur Jules Lebaudy. Mais cet argent, qu'il n'eut pas à gagner, il s'entend très bien à le gaspiller, entouré de nombreux profiteurs et se distingue par ses coûteuses extravagances (construction à grands frais d’ arènes à Maisons-Laffitte pour des courses de taureau etc…). Anecdote reprise dans le Journal de Jules Renard : Allais et Ponchon dinant chez Max Lebaudy, ce dernier se leva de table et leur dit devant l’assistance :
- Quand je pense qu’il n’y a que vous deux, ici, qui ne m’avez pas encore tapé !




Toi qui détiens les fortes sommes,
Toi pour qui tout est sucre et miel,

Cependant qu’à nous, pauvres hommes
Tout n’est qu’absinthe et n’est que fiel,
Toi qui n’eût besoin que de naître
( Quand je dis besoin !…) pour connaître
L’or qu’on jette par la fenêtre
Sans compter, sans même y songer,
Il parait que tu es bon diable
Et que ton cœur est serviable ;
Eh bien, qu’il te soit pitoyable
Cet or, et qu’il te soit léger !

Qu’il n’embarrasse pas tes veilles
De soins divers et superflus
Cet or, merveille des merveilles !
A quoi bon un youtre de plus ?
Qu’il te laisse en la nuit profonde,
Dormir ainsi que tout le monde,
Et qu’il ne vienne pas, immonde
Et vertigineux cauchemar,
Abréger tes nuits déjà brèves,
Qu’il ne pose pas sur tes rêves
Tes yeux aigus comme des glaives,
Ses tentacules de calmar.

Il convient que ton numéraire
Bien loin de te faire valoir
Tu le gaspilles au contraire
Avec un certain nonchaloir.
On n’a pas attendu l’esthète
Bolpurget, ni Trévost qui tête
Non plus que cette forte tête
Que l’on appelle Dumaphis,
Pour savoir qu’une loi sévère
Veut que l’or conquis par le père
Au sein d’un commerce prospère
Soit dilapidé par le fils.
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Oh ! cela n’est pas bien facile
D’être Crésus à l’impromptu ;
Pour que l’or ne rende imbécile
Il faut avoir quelque vertu.
Je ne sais pas si je m’égare
Mais c’est une chose aussi rare
A tout le moins qu’un bon cigare
La sagesse jointe à l’argent ;
Car si tu détenais la caisse
En même temps que la sagesse,
Je te demande, l’ami, qu’est-ce
Qui resterait à l’indigent ?

Admettons que tu n’es pas sage
Non plus que chiche de ton or ;
Pour lors, fais-en donc tel usage
Qu’il te conviendra, mais encor
Ce serait sottise notoire
Digne d’un petit servatoire
Si tu croyais obligatoire
De baffrer de la venaison,
Des petits pois et des asperges
Avec des quarts de demi-vierges,
Avant tes sagaces concierges,
Et quand ça n’est pas la saison.

Après ça c’est bien ton affaire.
De quoi je me mêle, pas vrai ?
Tu la connais la scène à faire,
L’ayant maintes fois démontré.
Ta fonction est la dépense,
Et tu es bien libre je pense,
De déconsidérer ta panse,
De détruire ton estomac ;
Je trouve également nature
Que tu prennes quatre voitures
Lorsque tu vas, par aventure,
Acheter deux sous de tabac.

Veux-tu des distractions fraîches ?
Commandite-moi des journaux,
Fonde un tas d’hospices, de crèches,
Et d’économiques journaux ;
Ou si quelque énorme fringale
Te travaille comme une gale,
A l’instar d’un prince de Galle,
Fais par jour tes dix-huit repas,
Meuble tes lits, bourre tes caves,
De vins vieux, de jeunes esclaves,
Fais de ton or des choux… des raves…
Surtout ne me le donne pas.


Eh ! Par la fressure du pape !
Qu’est-ce que je ferais, grands dieux ?
De ta fortune de satrape,
De tous ces écus odieux ?
Quand, par hasard, sans crier gare,
Un peu de me nouille s’égare
Dans mon cinquième, et bizarre
Quelque fafiot, sache-le,
La chose encore que plaisante,
Me semble…voilà tout…présente,
Et tout d’abord me représente
Des étoiles sur un ciel bleu.

Si le Seigneur, pour ma consomme,
Du haut de son ciel de lapis
Versait sur moi la forte somme
Je me dirais : tant pis, tant pis.
Richesse n’est point qui m’émeuve ;
Les seuls vrais plaisirs je les treuve
Dans la nature toujours neuve,
Tu peux m’en croire, my dear child ;
Je connais quelles sont mes voies,
Et j’aurais de plus pures joies,
A coup sûr, à garder les oies ;
Qu’à paître l’or comme Rothschild.

Je suis de candeur sans pareille,
Et je n’aime vraiment qu’aimer ;
Je me réjouis d’une abeille,
Une rose me fait pâmer,
Lorsque la Mort, mon souci moindre,
Viendra me réclamer et m’oindre
Pour la grande étape rejoindre,
Comme j’aurai toujours vécu,
En mon humble philosophie,
Sans ambition, sans envie,
Je veux sortir de cette vie
N’ayant que ma chemise au cu.

J’écoute que tu vas me dire :
« Pourquoi de ce que tu n’as pas
Parler ainsi, racleur de lyre ? »
Je te répondrai de ce pas :
« Mais, je n’ai pas non plus la teigne…
Veux-tu que je la dépeigne ?
Dans mes cheveux elle ne daigne,
Je puis en parler nonobstant ;
Et me faut-il lire un poème
De Bornier, cet autre lui-même,
Pour savoir qu’il est pâle et blême
Et profondément attristant ? »




Raoul Ponchon

juillet 1895



* Max Lebaudy meurt le soir de Noël 1895

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