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A MORT, LA VIE !
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Que le diable t’emporte
Comme une feuille morte,
An, qui vient de mourir,
Et qu’il te patafiole
Et te casse la fiole,
Toi qui viens de fleurir.
Faut-il donc que je vive,
Infortuné convive
Et malheureux Gilbert,*
Cette vie exécrable ?
Est-ce qu’à cette table
J’eus jamais mon couvert ?
O banquet de la vie,
O table mal servie !
Où les uns mangent tout,
- Les plus mélancoliques
S’en flanquant des coliques -
Oui, c’est ceux-là surtout…
A moins que cette année
Change ma destinée
Le sort ne m’est point gai.
A mort, à mort, la vie !
M’a ma philosophie
Déjà bien fatigué.
Mettons qu’un dieu m’accorde
En sa miséricorde
Tous les biens superflus,
C’est un triste avantage
Les avoir à cet âge
Où l’on n’en jouit plus.
Moi, l’amant de la Lune,
Est-ce que la fortune
C’est-ce que j’ai rêvé ?
Une belle foutaise
D’habiter la cimaise
D’un quartier… arrivé !
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Rouler en des carrosses,
Et me flanquer des bosses
Jusques à en crever !…
Mettons qu’on me décore !…
Tenez, mettons encore
Que je sois enlevé,
A l’instar d’un tzigane,
Par une Américaine
Et non des plus princeps,
Une vague et lointaine
Princesse de Chimène,
Rapport à mes biceps ?
Il est plus que probable
Qu’en peu de temps mon râble
En aura plein le… dos
A moins que cette vache
Fasse de moi, ganache,
Un aimable cocu.
… Ainsi donc, pauvre ou riche,
Qu’est-ce que ça peut fiche ?
C’est kif-kif bourriquot.
La vie est détestable
Voilà tout, pouvantable,
On est toujours gogo…
Et voilà bien nos plaintes
Aux premières étreintes
Un douloureux hiver.
Et qui s’évanouissent
Lorsque s’épanouissent
Les fleurs du printemps vert.
Ah ! sombres pessimistes
Que nous sommes, fumistes,
Comptempteurs d’ici-bas,
Et qui vers la sortie
Comme vers une ortie
Ne saurions faire un pas !
Car la Vie elle-même
C ‘est cela que l’on aime
Avec ou sans espoir ;
Même la plus filote
C’est un mal qu’on dorlote
Qu’on est heureux d’avoir.
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
10 janv. 1897
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