26 sept. 2007

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LE MUNKACZY DU PECQ
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D’après la Nouvelle Presse libre de Vienne, M. Munkacsy serait décidé à intenter un procès au directeur de l’Art international qui continue à exposer, 36, rue de Chateaudun, le fameux tableau de la Scène de meurtre rituel en Hongrie.
L’auteur du Christ devant Pilate prétend qu’on a cherché à lui faire attribuer la paternité de l’œuvre en question en la donnant comme d’un grand maître hongrois.
(Echo de Paris, 23 mars)
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Ce que j’aime au Printemps ça n’est pas tant vraiment
Le ciel plus délicat, d’un azur plus clément,
Ni les bourgeons giclant, émeraudes rieuses,
De leurs coques soyeuses ;

Ni le jeune soleil, ni l’air de liberté
Qu’on respire, ni le charme, ni la bonté
Qui émanent des fleurs premièrement écloses,
Des êtres et des choses ;

Ni le réveil des fleurs, ni les petites voix
Des oiseaux querelleurs qui font chanter les bois ;
Ni près des eaux l’essor voluptueux des nymphes
Qui chambardent mes lymphes ;

Ni toute la beauté des femmes en avril
Qui me mettent cent fois par jour l’âme en péril.
Ce que j’aime au printemps c’est cette étrange flore
Qu’on voit soudaine éclore

Des peintres de tout poil et de tout acabit
Chez les Durand-Ruel et les Georges petit,
Les Bernheim, Mancini, les Marc de Bouteville,
Et d’autres à la file ;

Peintres du cœur ainsi que peintres du cerveau,
Peintres du temps passé comme du temps nouveau,
Et peintres agités que Charenton réclame,
Peintres aussi de l’âme !

L ‘autre jour donc, fumant mon caporal pétun
*
J’arpentais tristement ta rue, ô Châteaudun
J’en étais à mon exposition centième
- C’est beaucoup, tout de même -

Quand je lus un cartel portant ces mots, je crois :
« Ici, voyez tableau d’un grand maître hongrois. »
Diable, comment pourrait-on fuir pareille invite ?…
Je me dis : entrons vite.
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Ce tableau représente un meurtre rituel
En Hongrie : un sujet des plus spirituels :
Une jeune Hongroise en sa nudité fauve
Se tord dans un alcôve ;

Autour d’elle d’affreux contempteurs de la Croix,
Juifs très certainement et de même Hongrois,
Munis de longs couteaux, la taillent, la dépècent,
S’en repaissent, la paissent.

C’est encor plus vilain, lecteur, que tu ne crois,
Cela n’est pas signé, c’est d’un maître Hongrois,
Voilà tout ! Qui pour un motif bien légitime
Veut garder l’anonyme.

C’est tellement mauvais qu’on se dit : Dieu merci !
Ce grand maître hongrois doit être Munkacsy :
Maîtres hongrois, d’ailleurs, moins nombreux que les grues,
Ne courent pas les rues.

Les jus les plus fangeux se donnent rendez-vous
Dans cette toile, et les bitumes les plus fous,
Et l’auteur a su mettre en toute cette scène
On ne sait quoi d’obscène.

Et Munkacsy lui-même accourt tout en émoi :
« Un grand maître hongrois ? Je ne connais que moi,
Comment, on m’attribue une croûte pareille !
En crois-je mon oreille ? »

Et de fait, on a tort. Retenez bien ceci :
Ce tableau ne saurait être de Munkacsy.
Ce monstrueux méli-mélo de cacas sombres,
Toutes ces terres d’ombre,

Ces bitumes hongrois, fougueux, exaspérés,
Ces ocres qui font des efforts désespérés,
Cette peinture folle, inepte, offenbachique,
Jus de chic et de chique,

Cet affreux cataplasme à la graine de lin
Qui ferait dégueuler quinze fois Pointelin
*
Lui-même, n’est pas plus de Munkacsy, madame,
Que ne l’est Notre-Dame :


Car encore qu’il soit par moi si mal côté,
Ce tableau paraît acceptable, à côté
De ce que fait l’auteur du Christ devant Pilate,
Voire même écarlate !


R.P
le Courrier français
29 mars 1896
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