29 janv. 2009

.
.
.
UNE FLEUR A MA BOUTONNIERE
.

Quand vient la saison printanière
Une fleur à ma boutonnière
Me rend tout un jour inquiet
D’elle, et de soins me pénètre
- Cela vous étonne peut-être
C‘est cependant cela qui est.

Parfois la fleur que j’ai choisie
Dirigera ma fantaisie

A son gré pendant tout un jour
Influencera ma pensée
D’une façon folle insensée
Ou raisonnable tour à tour.

Ainsi par exemple une rose
Me préserve de toute prose :

Je songe à des vers radieux.
Comme des fleurs elle est la reine
Pour plaire à cette souveraine
Je lui dois la langue des dieux.


Que si c’est un lys pur et chaste,
Au moins tant que dure son faste

En moi fleurit un autre lys
Cela peut paraître bizarre,
Mais j’ajoute que c’est bien rare
Quand la fleur qui m’orne est un lys.

Est-ce quelque étrange orchidée ?
Voilà que la plus folle idée

Me tourne et bistourne l’esprit .
Est-ce au contraire une ancolie
La rime veut mélancolie ;
C’est donc elle qui me meurtrit.

Lorsque ma boutonnière éclate
Un coquelicot écarlate
Je suis orgueilleux comme lui
D’être rouge aussi je m’efforce,
Je bois à m’en foutre une entorse,
Et je vais méprisant autrui.

Mais par contre, une violette
Toute douce et toute simplette

Me rendra timide parfois.
Et - vous croyez que j’extravague -
Me donnera le désir vague
De m‘aller cacher dans les bois.



* * *

Pour moi ce n’est pas une chose
Qu’une fleur, mais quelqu’un qui cause

C’est un camarade, un ami
A qui je raconte mes peines
Qui me dit à son tour les siennes.
- Hélas, à mal, mal et demi. -

A ma vie elle participe
Je lui ferai fumer ma pipe

Pour un peu. A mon five o’clock
Je la trempe dans mon absinthe
( Qu’elle déguste l’herbe sainte )
Si ça n’est pas mon queu-de-coq
(1).

Je rends mon âme sur sa bouche
Et s’il arrive que je touche

A ses pétales gracieux
Ce n’est que d’une main discrète,
Et pour admirer la pauvrette
J’adoucis l’éclat de mes yeux.

La fleur m’appelle, sur sa tige
M’attire comme le vertige

Part ses port parfum et couleur,.
Je suis né - je gage une piastre
Non sous l’influence d’un astre
Mais bien sous celle d’une fleur.


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
20 mai 1894

.
(1) Faremoutiers
.

Aucun commentaire: