12 févr. 2009

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SAINT-JACUT-DE-LA-MER
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Que faîtes-vous dans urbes,
Dans vos turbes,
Petite caille des blés ?
Qu’y trouvez-vous à y frire ?
A y rire ?
Et quoi vous y reniflez ?


Vous y reniflez des pestes
Manifestes
Et des choléras morbus,
Des bacilles, des microbes
Si peu probes,
Un tas de streptococcus.

En cette maison malsaine,
Quand la Seine
Trimballe des chiens pourris,
A part les Anglais, Anglaises,
Les punaises
Quel est l’attrait de Paris ?

Quand on tombe de tziganes en bécanes,
Quand on heurte chaque pas
De broussailles rastaquouères,
Des moukères
Qu’on ne connaît même pas ;
Quand les guignols ont des crises


De reprises,
Dignes des Aix, des Luchons ;
Quand les troupes destinées
Aux tournées
Préparent leurs baluchons…
Est-ce que vous seriez dupe


De la jupe
De cette même Otéro ?
Vous y perdrez vos pépettes,
Vos………
Sans passer même au bureau.



Va, ton Paris est stupide,
Intrépide
Boulevardier, il a l’air
D’une foire atroce, épaisse,
D’une espèce
De casino sans la Mer.


Sagoin y coupe tes arbres,
Et ses marbres
Les coupe aussi Bérenger ;
Autant vaut prendre la fuite
Tout de suite
Et passer à l’étranger.

Sans aller si loin, jeune homme,
Viens voir comme
On respire du bon air,
Et comme on est loi des mufles,
Des tartuffes
A Saint-Jacut-de-la-Mer.

Vois, dans cette maison haute,
Sur la côte,
Je suis perché comme un nid ;
Et je regarde l’espace
Face à face,
Et jamais il ne finit.

A mes pieds, là, tu remarques
Quelques barques
Toutes noires sous le ciel
Que le joli flot dorlote ;
Pauvre flotte
Qui n’ira jamais à Kiel.


En face, une petite île
Luit, rutile
Comme un scarabée ; eh bien,
Si tu veux, je te la donne,
L’abandonne ;
C’est l’île des Ebbiens.

A gauche, Saint-Cast ; L’histoire
Est notoire
Que jadis d’affreux Anglais
*
Y furent mis en déroute,
Somme toute,
A coups de manche à balais.

Plus loin, c’est le fort La Latte
Qu’on relate,
Et l’anse des Sévigné
Mais comme je n’y fus oncques
Ne puis doncques
Autrement les désigner
.


Après, cette pointe immense
Qui s’avance
Dans la mer, c’est le Fréhel,
Cap habité par le diable,
Effroyable,
Cyclopéen, irréel.


Et maintenant, sur ta droite,
Plus benoîte
Est la côte : c’est Lancieux,
Saint-Briac et Saint-Lunaire
Où l’on erre
Parmi trop de beaux messieurs.


Saint-Enogat qui voisine,
Prend racine
Chez Dinard trop fréquenté
Et qui force un peu la note,
Casinote :
Très mauvais pour la santé
.

Puis, qui se font la concurrence
Sur la Rance,
Saint-Servan et Saint-Malo
Ayant Paramé pour goitre
Qu’on veut croître,
Et qui n’est pas rigolo.


Que si tu veux faire escale
A Cancale,
C’est plus loin. Soins superflus,
Pas vrai ? De te dire : insane,
Mon Dieu, ça ne
Fera qu’une huître de plus.

Enfin, là, cette boutique
Sympathique
Se cachant d’un air discret
Au point qu’elle est invisible,
Bien possible
Que ce soit un cabaret.

De ce pas allons y boire
A la gloire
Du gentilhomme Falstaff
Car, comme le dit Grégoire,
Il faut boire
Parce qu’on a toujours soif.


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
Saint-Jacut-de-la-Mer
23 juin 1895
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