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LA CLOCHE DU DÎNER
(CONTE POUR LE JUGE DES POETES)
LA CLOCHE DU DÎNER
(CONTE POUR LE JUGE DES POETES)
Bienheureux celui qui n’a guère,
Encor plus celui qui n’a rien :
Qui n’a guère ne risque guère,
Et qui n’a rien ne risque rien.
Sagesse des nations.
Un jour, sur la place publique,
Un poète, rempli de faim
Exerçait son métier lyrique
Pour gagner un morceau de pain.
Il avait pour toute tribune
Un escabeau des plus réduits,
Et, plus vide encor que la Lune,
Une sébile devant lui.
L’obole était facultative.
D’ailleurs, il eût pour rien chanté,
Mais, faut-il pas que chacun vive
De son métier, en vérité ?
Autour du harde, hommes et femmes,
Petite espèce et gros bourgeois,
Nobles seigneurs et grandes dames
Se pressaient comme des anchois.
Animé du sacré délire,
Sans songer de son triste cas,
Il faisait frissonner la Lyre
Sous ses doigts fins et délicats.
Il tâchait, par le Verbe auguste,
De faire s’éveiller en eux
Le désir du Bien et du Juste,
Le besoin du Beau lumineux.
Il disait les Muses hautaines
Qui ne sauraient jamais périr,
Aussi les Princesses lointaines
Que le rêve peut conquérir.
Il leur racontait le mystère
De l’Amour éclos dans les cieux,
Et la Fraternité sur terre
Et le Pardon délicieux…
Et voilà que les pauvres hères
Pris par ses vers ensorceleurs
Semblaient publier leurs misères ;
Les seigneurs ignoraient les leurs…
Au beau milieu de sa tirade,
Une cloche vint à sonner.
Alors, ce fut la bousculade,
Car c’était l’heure du dîner.
Grands et petits prirent la fuite
En fredonnant un « libera »,
Sans vouloir entendre la suite,
Seul, un bonhomme demeura.
Il était un peu dur d’oreille.
La cloche n’étant pas pour lui,
Devant le conteur de merveilles,
Il restait là comme ébloui.
- « Bon ! Voilà ma recette faite :
Quinze sols ! mince de profit !
N’importe, pensa le Poète,
Ce seul auditeur me suffit.
« A la bonne heure ! toi, je t’aime,
- Dit-il au bonhomme étonné -
Tu veux la fin de mon poème,
Malgré que la cloche a sonné… »
- « La cloche a sonné ! Tu veux rire ?
Répondit l’autre - Alors, bonjour ! »
Et voilà que le pauvre sire
Se tira des pieds comme un sourd.
Encor plus celui qui n’a rien :
Qui n’a guère ne risque guère,
Et qui n’a rien ne risque rien.
Sagesse des nations.
Un jour, sur la place publique,
Un poète, rempli de faim
Exerçait son métier lyrique
Pour gagner un morceau de pain.
Il avait pour toute tribune
Un escabeau des plus réduits,
Et, plus vide encor que la Lune,
Une sébile devant lui.
L’obole était facultative.
D’ailleurs, il eût pour rien chanté,
Mais, faut-il pas que chacun vive
De son métier, en vérité ?
Autour du harde, hommes et femmes,
Petite espèce et gros bourgeois,
Nobles seigneurs et grandes dames
Se pressaient comme des anchois.
Animé du sacré délire,
Sans songer de son triste cas,
Il faisait frissonner la Lyre
Sous ses doigts fins et délicats.
Il tâchait, par le Verbe auguste,
De faire s’éveiller en eux
Le désir du Bien et du Juste,
Le besoin du Beau lumineux.
Il disait les Muses hautaines
Qui ne sauraient jamais périr,
Aussi les Princesses lointaines
Que le rêve peut conquérir.
Il leur racontait le mystère
De l’Amour éclos dans les cieux,
Et la Fraternité sur terre
Et le Pardon délicieux…
Et voilà que les pauvres hères
Pris par ses vers ensorceleurs
Semblaient publier leurs misères ;
Les seigneurs ignoraient les leurs…
Au beau milieu de sa tirade,
Une cloche vint à sonner.
Alors, ce fut la bousculade,
Car c’était l’heure du dîner.
Grands et petits prirent la fuite
En fredonnant un « libera »,
Sans vouloir entendre la suite,
Seul, un bonhomme demeura.
Il était un peu dur d’oreille.
La cloche n’étant pas pour lui,
Devant le conteur de merveilles,
Il restait là comme ébloui.
- « Bon ! Voilà ma recette faite :
Quinze sols ! mince de profit !
N’importe, pensa le Poète,
Ce seul auditeur me suffit.
« A la bonne heure ! toi, je t’aime,
- Dit-il au bonhomme étonné -
Tu veux la fin de mon poème,
Malgré que la cloche a sonné… »
- « La cloche a sonné ! Tu veux rire ?
Répondit l’autre - Alors, bonjour ! »
Et voilà que le pauvre sire
Se tira des pieds comme un sourd.
RAOUL PONCHON
le Journal
21 janv. 1901
le Journal
21 janv. 1901
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