10 janv. 2009

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Sur mon portrait par
CAPPIELLO
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Ponchon - le Journal - 24 juin 1900
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.Cappiello, mon bon ami, *
Mon portrait, que tu fis trop vite,
Ne me ressemble qu'à demi
Bien que le génie y palpite.

Oh ! ce n'est pas pour la beauté,
Tu penses bien, que je réclame ;
Au surplus, si tu m'as flatté,
Ca me fera de la réclame.


Mais, par le vrai Dieu d'Isaac !
Je ne croyais pas, je te jure,
Ressembler autant à Reinach ;
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Cela lui soit dit sans injure.

Parbleu, je sais, tu me diras :
" On ne se connait pas soi-même. "
Quoi ? franchement, suis-je aussi gras ?...
Tu me fais une peine extrême.

Sans être maigre comme un loup,
J'attends que la graisse me vienne :
Je bedonne un peu, voilà tout,
C'est rapport à mon hygiène.

Je n'ai pas ce coup de taureau
Dont se prévaudrait un Hercule ;
Sur un corps de mon numéro,
Ce serait plutôt ridicule.

Je n'ai pas le moindre biceps,
Et tu m'en fais un, ma parole,
A l'instar de ceux de Lesseps :
Serait-ce là quelque symbole ?

Tu me fais des mains d'assassin,
Moi de qui les doigts sont si vagues
Qu'à peine, et malgré mon dessein,
Je les puis illustrer de bagues.
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Ce qui m'a surtout contristé,
Vois-tu, dans ta caricature,
C'est l'air dur que tu m'as prêté ;
Il n'est, du tout, dans ma nature.


D'abord, je n'ai pas, tant s'en faut,
La moustache aussi provocante :
Avec ses crocs à la prévôt,
Tu m'en fais défier cinquante...

C'est de moi beaucoup présumer,
Qu'un vol d'abeilles effarouche
Et qu'une rose fait pâmer.
Je n'ai pas non plus cette bouche

Dédaigneuse, je te promets,
Surtout quand je regarde un verre :
Et puis, pour personne jamais
Je n'eus le droit d'être sévère.

Et je n'ai pas non plus cet oeil
De magistrat dans son prétoire :
Il est de bien meilleur accueil ;
Viens-y voir, si tu n'y veux croire.

Tu ne m'as jamais abordé,
Sans quoi tu saurais que ma haine
Tiendrait aisément dans un dé
Sans que cette coupe soit pleine.


Le front est par trop important
Pour mes ordinaires pensées ;
Il n'en roule pas tant et tant,
Encor je lui fous des fessées.


Le nez est assez réussi :
On voit bien qu'il n'est pas un mythe,
- Tu l'as constaté, Dieu merci ! -
Non plus qu'un blaire de sémite.

Le chapeau... très bien, le chapeau,
Le voilà tel que je le porte ;
Quant à l'absinthe, ô Cappiello !
Tu me l'as servi un peu forte.

Et puis... n, i, ni, j'ai fini,
Et je te fais une risette
Pour m'avoir, à propos, fourni
Le sujet de c
ette gazette.
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RAOUL PONCHON
le Journal
25 juin 1900

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