13 nov. 2010

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CONTE DU GRINCHEUX
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Un être en sa misanthropie,
Comme on rencontre fort peu,
Grincha tout le long de sa vie.
Cependant il n’avait pas lieu

De se plaindre de la fortune,
Qui l’exempte de tout soucis
Matériel, d’abord et d’une…
Sa santé florissait aussi.

De plus sa veine était extrême ;
Dans tout ce qu’il entreprenait
Il réussissait ; et quand même,
Il ronchonnait sous son bonnet…

Contre quoi ?… Contre toutes choses ?
Contre les bêtes et les gens.
Les roses lui semblaient moroses,
Et les lys, hélas ! affligeants.

Dès la rhododactyle aurore
Vous l’eussiez entendu grincher,
Le soir il ronchonnait encore,
Auparavant que se coucher.

Il appelait, au clair de lune,
Le soleil, et vice versa.
Il voulait l‘autre en voyant l‘une.
Il y a des gens comme ça.


*
* *


Enfin, au bout de son programme
Terrestre, cet individu
A quatre-vingt ans rendit l’âme,
En ronchonnant bien entendu.

Mais, en définitive, comme
Il avait, malgré son défaut,
Eté toujours un honnête homme,
C’est dans le ciel qu’il fit le saut.


Le Seigneur, de sa main parfaite,
Ainsi qu’il fait pour ses élus
A quelque deux doigts de sa tête
Décrivit un cercle, sans plus.

Et ce cercle était de lumière,
Comme vous devez bien penser ;
Et loin de n’être qu’éphémère,
Il ne devait plus s’effacer.

- Tels on voit les saints et les saintes,
Les anges, les martyrs encor,
Figurer ès images peintes,
Le chef cerclé d’un nue d’or -

Voilà notre élu qui rayonne,
Se donnant du torticolis
Pour voir son ardente couronne :
« - Eh bien, quoi ? Ça n’est pas joli ?


« Je te reconnais à ce signe,
Dit le seigneur. De ce moment,
Tu peux circuler dans ma Vigne,
A loisir, éternellement ! » -

Aussitôt, léger comme Eole,
Se mêlant aux autres esprits,
Notre homme avec son auréole,
Foula les célestes pourpris.



*
* *


Or, un jour, derrière un nuage,
Il se promenait loin du bruit,
Quand il trouva sur son passage
Un ancien camarade à lui :

« - Eh bien, te voilà, mon compère !
Je t’attendais - dit celui-ci -
Es-tu content ? - Du moins, j’espère
Que tu ne grinches plus ici !…


« - Peuh ! dit l’autre, ma vieille branche,
Je ne me plains pas, à coup sûr.
Ici, chaque jour c’est dimanche.
Encore que tout cet azur

« Ne soit pas d’une gaîté folle,
On peut se laisser vivre, mais
C’est cette sacrée auréole !
Ca, je ne m’y ferai jamais. »




Raoul Ponchon

le Journal
16 août 1907
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