14 nov. 2010

.
.
.
LE COURS DE BERGSON
.


Quand, pour sa première leçon,
Notre philosophe Bergson
Se fut installé dans sa chaire,
Près de la carafe et du verre,
Il se montra plutôt surpris
D’avoir pour seule clientèle
Des dames et des demoiselles,
Laquelle, d’ailleurs, vaut son prix.
En effet, un très petit nombre
D’hommes, en ce temple égarés
Parmi ces êtres éthérés
Y faisaient quelques taches sombres.

*
* ...*


Or dans ce petit local,
Il régnait un air tropical,
Tellement la foule était drue,
Qui débordait jusqu’en la rue.
Ce qui fait qu’au milieu du cours,
On ouït crier au secours !
Plusieurs tombèrent en syncope
Qui n’y pouvaient plus résister.
Il fallut même en emporter
D’aucunes chez le pharmacope.


*
* ...*


« Oh ! oh ! Se dit notre Bergson,
Cela n’est pas dans le programme.
Ici, je ne veux pas de drame.
Aussi, ma prochaine leçon,
Je la ferai de meilleure heure,
Heure du thé comme du beurre,
Midi, par exemple.. » Comptant
Que de la sorte, empiétant
Sur le moment du réfectoire,
Il réduirait son auditoire.

*
* ...*

.


Il se trompait. Il vit, encore
Plus nombreux, la fois suivante,
Cette même flore vivante.
« Par tous les diables ! C’est trop fort !
A quelle heure donc dînent-elles ?
Ou dansent leur tango ?
Leur furlane, leur fandango ? »

Comment, tu les crois assez folles
Pour gambiller ? Ces fariboles
Sont pour d’autres. Quant à manger,
Elles n’y veulent pas songer.
Elles n’ont faim que de ton verbe,
Et de ta méthode superbe,
Qui leur donne un petit frisson.
Et quand tu ferais ta leçon
A minuit, sinon dès l’aurore,
Elles s’y presseraient encore
O leur éducateur Bergson !


Vous me demanderez peut-être
Ce que leur enseigne ce maître,
Soit quel est l’objet de son cours
Qui les trouble tous les huit jours ?
Qu’apprend-il à ces créatures
Toutes charmantes, peu ou prou ? -
Est-ce l’art d’aimer, de plaire - ou
L’art de faire des confitures ?…
Non. Il parait - on m’a dit ça -
Que l’éthique de Spinoza
Appartient au genre folâtre.
A côté de ce que Bergson
Sert, en ses abstruses leçons,
A sa clientèle idolâtre.


RAOUL PONCHON
Le Journal
09 mars 1914






Aucun commentaire: