27 sept. 2007

.
.
.
La question de l’Allaitement
.

Ai-je eu, d’abord que je fus né
Sur cette terre brève,
Le sein maternel sous le nez,
Comme c’était mon rêve ?

M’a-t-on fait déguster le pis
De quelque « remplaçante »
Ou bien, mettant la chose au pis,
Si, dès ma soif naissante,

On m’a privé de tout giron
Et permis à ma lèvre,
Seulement, dans un biberon,
Lait de vache ou de chèvre ?

Je n’en sais rien. Toujours est-il
Que me voilà sur terre
Depuis déjà plus d’un Avril,
Je n’en fais pas mystère.

Et ma foi, comme disait Mac-
Mahon : j’y suis, j’y reste.
J’ai bon pied et bon estomac
Et sans compter le reste…

Je paye mes impositions,
Et si j’en crois ma bonne,
Sauf de rares distractions,
Mes nuits sont assez bonnes,

Je mourrai quand il le faudra
Avec philosophie,
De la peste ou du choléra
Sinon de la pépie.

S’agit maintenant de savoir
Si mon côté varpouille
Me vient du lait qu’on fit pleuvoir
En ma pauvre gidouille ?

Dois-je à ce lait mystérieux
Mon goût pour la vinasse ?
« Assurément - dirait Brieux,
Physiologue tenace.


« Ton vice, ainsi que ton défaut
Et toutes leurs nuances,
Tes tendances vers l’échafaud,
Ton désir de potence,

« Tout cela, tu le dois au lait
Que tu bus en principe ;
Ce lait têtu comme un mulet
A façonné ton type. »

Donc par la luxure mordu,
Les jours que je m’ennuie,
C’est qu’étant tout enfant j’ai dû
Boire du lait de truie ?…

Moi, je ne demande pas mieux,
Ce m’est fort agréable :
Comme cela, mon vieux Brieux,
Je suis irresponsable.


Et quand vers le Père éternel
Il faudra que je monte
En mes habits de criminel
Pour lui rendre des comptes,

Et qu’il me dira : « O Ponchon !
Eh quoi, tu n’as pas honte ?
C’est au propre, ça, mon cochon,
Si ce qu’on me raconte ?… »

Je l’interromprai. « Père Ubu,
Gardez votre anathème ;
Tout dépend du lait que j’ai bu,
Vous le savez vous-même.

« Ce n’est pas moi qui l’ai choisi
Celui qu’on me fit boire,
Je l’eusse plus cramoisi
Et moins aléatoire.

« Ou bien, il fallait, que veux-tu ?…
Me donner du lait d’ange,
Ange je serais devenu
Et dirai ta louange…

RAOUL PONCHON
le Courrier Français
10 mars 1901
.
.
.
.

Aucun commentaire: