24 sept. 2007

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ELLE et LUI
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Est-il déjà trop tard pour parler encore d’elle ?…
(A. de Musset , Stances à la Malibran )


« Si tu veux, mon petit homme,
Allons nous aimer ailleurs,
Il n’est rien d’insolent comme
Ces Parisiens railleurs.

« On ne peut dormir tranquille
Dans cet hôtel Terminus,
Tachons de gagner quelque île
Chère aux enfants de Vénus.

« Ta femme, il faut qu’on la perde,
Vois-tu : j’en ai plein le dos ;
Ce que ce chameau m’embête
Depuis qu’on l’a fait cocu !

« Chausse vite une pantoufle,
S’agit pas de babiller ;
Pour moi, ma chemise, un souffle,
C’est assez pour m’habiller.

« Laissons nos malles en gage
A cet hôtel Terminus ;
Emportons pour tout bagage
Le nécessaire, sans plus :


« Prends ton crin-crin du dimanche
Sur lequel rien ne prévaut,
Moi, ma guitare sans manche,
C’est là tout ce qu’il nous faut.

« Viens, mon héros, viens mon maître,
Il est l’heure… tu comprends…
Consulte ton chronomètre
Que j’ai payé mille francs.

« Déjà le train est en gare.
Non… finis… c’est abuser…
Allume un dernier cigare
Et donne un dernier baiser.

« Allons-nous-en par l’Autriche
Ou le monde est moins méchant.
Mon Dieu ! si tu n’es pas riche,
N’ai-je pas beaucoup d’argent ?

« Ne suis-je pas la princesse
Et ton banquier, mon Rigo ?
Tu pourras manger sans cesse,
Boire à tire-larigot.



« Nos dépenses en voyage,
Je suis là pour les payer ;
Je le dis sans barguignage.
T’es trop beau pour travailler ;

« Toi qui fus, dès ma naissance,
Celui que cherchait mon cœur,
Qui me mis en ta puissance
Avec ton archet vainqueur.

« Tu ne veux pas de l’Autriche ?
Nous n’irons pas, voilà tout ;
Tu penses si je m’en fiche,
Ne peut-on s’aimer partout ?

« Préfères-tu l’Amérique ?
Ca n’est pas loin de chez moi.
Dans ce pays chimérique
L’amour est toute la loi.

« Tu n’en as pas le courage
Et tu crains quelque danger ?
Mais si nous faisons naufrage,
Qu’importe ? Tu sais nager.



« Allons, Rigo, preste, preste !
Dépêche-toi, l’heure fuit.
Tu me conteras le reste
Aux alentours de minuit. »



R.P
1897


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