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ELLE et LUI
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« Si tu veux, mon petit homme,
Allons nous aimer ailleurs,
Il n’est rien d’insolent comme
Ces Parisiens railleurs.
« On ne peut dormir tranquille
Dans cet hôtel Terminus,
Tachons de gagner quelque île
Chère aux enfants de Vénus.
« Ta femme, il faut qu’on la perde,
Vois-tu : j’en ai plein le dos ;
Ce que ce chameau m’embête
Depuis qu’on l’a fait cocu !
« Chausse vite une pantoufle,
S’agit pas de babiller ;
Pour moi, ma chemise, un souffle,
C’est assez pour m’habiller.
« Laissons nos malles en gage
A cet hôtel Terminus ;
Emportons pour tout bagage
Le nécessaire, sans plus :
« Prends ton crin-crin du dimanche
Sur lequel rien ne prévaut,
Moi, ma guitare sans manche,
C’est là tout ce qu’il nous faut.
« Viens, mon héros, viens mon maître,
Il est l’heure… tu comprends…
Consulte ton chronomètre
Que j’ai payé mille francs.
« Déjà le train est en gare.
Non… finis… c’est abuser…
Allume un dernier cigare
Et donne un dernier baiser.
« Allons-nous-en par l’Autriche
Ou le monde est moins méchant.
Mon Dieu ! si tu n’es pas riche,
N’ai-je pas beaucoup d’argent ?
« Ne suis-je pas la princesse
Et ton banquier, mon Rigo ?
Tu pourras manger sans cesse,
Boire à tire-larigot.
« Nos dépenses en voyage,
Je suis là pour les payer ;
Je le dis sans barguignage.
T’es trop beau pour travailler ;
« Toi qui fus, dès ma naissance,
Celui que cherchait mon cœur,
Qui me mis en ta puissance
Avec ton archet vainqueur.
« Tu ne veux pas de l’Autriche ?
Nous n’irons pas, voilà tout ;
Tu penses si je m’en fiche,
Ne peut-on s’aimer partout ?
« Préfères-tu l’Amérique ?
Ca n’est pas loin de chez moi.
Dans ce pays chimérique
L’amour est toute la loi.
« Tu n’en as pas le courage
Et tu crains quelque danger ?
Mais si nous faisons naufrage,
Qu’importe ? Tu sais nager.
« Allons, Rigo, preste, preste !
Dépêche-toi, l’heure fuit.
Tu me conteras le reste
Aux alentours de minuit. »
R.P
1897
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