24 sept. 2007

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UN TUYAU
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Récolte a le talent, entre d’autres ressources,
De vendre des tableaux et de gagner aux courses ;
Aussi de gros écus fait-il une ample idam.
Or, dimanche dernier je me suis dit : goddam
S’il possède à ce point là l’hippique science,
Ayons en lui la plus extrême confiance.
J’allai donc le trouver : eh, mon petit boyau,
Lui dis-je - pouvez-vous me donner un tuyau ?
- Oui - me répondit il d’une voix empressée
Prenez Fourneau gagnant et Bidoche placée
Dans le prix de Paris, ils sont à cent contre un. -


- Diable ! fis-je, voilà qu’il n’est pas très commun,
Je pourrais gagner cinq cents francs pour une thune !
En pontant cinq cents louis ce serait la fortune !
Il ne m’est pas permis d’hésiter un instant.
Comme j’ai dit, Récolte est ici compétent
Il n’a pas d’intérêt à me tromper, il gagne
Tout ce qu’il veut… allons, et que Dieu m’accompagne !
Maintenant… dois-je lui confier mon argent?…
Non, non, il est plus sûr que moi-même à Longchamp
J’aille manipuler ma future galette.


Il me faut pour cela faire un brin de toilette

Justement j’ai reçu mon linge de London.



Je louai donc un fiacre et son automédon
Et je louai de même une superbe femme
Oh ! tout simplement pour me faire une réclame.
Puis, après avoir mis de nombreuses valeurs
Dans toutes à peu près mes poches, une fleur
A ma boutonnière, un sourire à mes lèvres,
Nous fûmes vers Lonchamps moins vite que de lièvres

Il fait beau temps, ma foi, ça n’est pas de refus.
Car pendant bien longtemps, temps, que vilain tu fus !
Oh ! Qu’il y a de belles femmes sur les routes
Il faudrait véritablement les nommer toutes,
Mais c’est, que, voyez-vous, je ne les connais pas
Et j’ai bien autre chose à faire de ce pas.

J’étais fort en retard quand je vins au pesage,
Et j’eus beaucoup de peine à me frayer passage.
Or, dès que de Fourneau mille louis j’eus pris
L’on entendit sonner la cloche du Grand-Prix
Vas-tu pas me sourire, ô fortune jalouse ?…
Mais, voici les chevaux entrer sur la pelouse,
Dix concurrents en tout se mirent sur les rangs.


Et neuf de ces messieurs m’étaient indifférents.
Mon favori Fourneau me parut très en forme :
Si Bidoche arrivait, quelle déveine énorme !
Je n’ai sur elle pu rien mettre, étant pressé.
Ils firent tous les deux un bon galop d’essai
Les autres canassons étaient Manche-de-Gaffe
Mors-aux dents, Gospodar, Mes-Deux, Culot, Girafe,
Et Matchbox, le cheval anglais du baron Hirsch
Avec qui le Prince de Galle prend son kirch ;
Et le dixième était, à notre grade épate,
Une sorte de veau dénommé Poil-aux-pattes.
S’il gagne celui-là, l’on serait étonné
Enfin, quoi qu’il en soit, le départ fut donné.
C’est d’abord le cheval anglais qui prit la tête
Après lui, le plus vite a l’air d’un veau qui tette.
Mes-Deux se déroba dès le premier tournant.
Allons bon, c’est l’Anglais qui boite maintenant.


Girafe et Gospodar mènent le train ; bidoche
Les suit de près, et son allure est sans reproche,
Mais voici qu’arrivé devers le petit bois
Mors-aux-dents se cassa trois pattes à la fois
Et Bidoche mourut d’un coup de sang, la vache.
Culot depuis longtemps était à la cravache.
Manche-de-Gaffe fut dès le début perclus,
Allons, c’est Gospodar à présent qui n’est plus
Et Girafe bientôt au dernier tournant boite.
Poil-aux-pattes, Fourneau sont dans la ligne droite
Fourneau passe devant, gagnant une longueur
Or je ne doutais plus qu’il ne fut le vainqueur,
Quand tout à coup, quoi donc ? Que voilà qui est bête !
C’est à son tour Poil-aux-pattes qui tient la tête
Et qui la gardera même jusqu’au poteau.
Et Fourneau ?… Il est bon à servir au couteau.
Ah bien il n’est pas prêt d’arriver au Cambodge
S’il va de ce train-là, qu’en pensez-vous ô Dodge !
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C’est Poil-aux-pattes, dis-je, hélas ! Ce veau constant
Qui gagna sans effort, en broutant, en pétant.


Raoul Ponchon


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