24 sept. 2007

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L’ORPHELINAT DE CEMPUIS
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L’école de Cempuis (Oise), de Paul Robin*, représente la première grande expérimentation pédagogique dans la manière de construire des savoirs. Il y a participation des enfants à la vie institutionnelle, élaboration du cursus scolaire sous la forme d’une « éducation intégrale » qui abordait simultanément plusieurs angles de l’éducation, notamment en matière physique, intellectuelle et morale. Robin pensait que l’aspect pédagogique n’était qu’un élément de l’éducation. Son école fut la première à pratiquer la coéducation des sexes, ce qui entraîna sa fermeture. Il y avait une éducation sexuelle en 1870-1880, ce qui entraîna une forte réaction cléricale contre ce qui fut appelé « la porcherie municipale de Cempuis ». L'établissement sous cette forme fut fermé en 1894.
Ponchon s'en donne à coeur joie et lance quelques coups de patte avec humour aux principes de l'époque...

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J’arrive - à l’instar de Chincholle
De l’Orphelinat de Cempuis ;
Ma foi, c’est une rude eschole
Je puis vous le dire, un vrai puits

De documents pour demi-vierges,
Pour le psychologue Prévost
Cet enfant chéri des concierges
Sur qui flotte l’Esprit Nouveau.


Mieux que l’Abbaye de Thélème
D’heureuse mémoire, ici on
Y résout le sombre problème
De la cohabitation

Des sexes. Filles pêle-mêle
Avec les garçons… aïe donc !
Le mâle ainsi que la femelle
Y poussent en plein abandon.

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Ces orphelins, ces orphelines,
Ces Margots avec ces Arthurs,
Ces Jeans avec ces Jaquelines
Aux fins de leurs struggles futurs,

Etudient, jouent, couchent ensemble,
Se baignent ensemble, font tout
Ensemble… Eh bien que vous en semble ?
Ce devrait être ainsi partout.

Vous me direz : et la morale ?
- Mais la morale, la voilà.
Aucune instruction orale
Ne vaudra ce frottement là.

Par ce système, sur son sexe
Jamais ni fille ni garçon
Ne demeure longtemps perplexes :
Ils sont faits de telle façon…

Voilà tout. Leur désir s’émousse
A ce contact perpétuel ;
Et quand quelque chose leur pousse… ?
- Eh bien, non… sauf le casuel.

Si vous leur faîtes un mystère
De leur corps, il le voudront voir ;
S’ils se connaissent au contraire
Ils n’en veulent plus rien savoir.


Apprenez qu’à peine le pêne
Tiré sur leur commun dortoir,
C’est incroyable, mais à peine
S’ils se disent même : bonsoir.

Je les ai vu tirer leur coupe
Dans la même piscine : eh bien
Vous pourriez sortir une loupe
Sans apercevoir jamais rien.

Sans surprendre le moindre geste
Ou le plus petit clignement
D’oeil d’un sexe à l’autre, immodeste ;
C’est gracieux et c’est charmant.

Je ne sais rien de plus candide
Ni rien plus fleur d’oranger,
Si j’en excepte monsieur Dide
*
Ou le sénateur Bérenger.

Certains, de candeur non pareille
Sortent de Cempuis qui croient que
Les enfants se font par l’oreille,
Ainsi, voyez, jugez un peu.

Ils vont s’instruisant l’un par l’autre,
Et se complétant, c’est forcé ;
Et si cet avis est le nôtre,
C’est aussi celui de Sarcey.


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La jeune fille plus précoce
Rend le garçon moins emprunté
Et celui-ci passe à la gosse
Un peu de sa virilité…

Enfin, si comme je suppose
Plus tard ils se marient entre eux
C’est en connaissance de cause
Sans compter que nos amoureux

Réaliseront la chimère
- En leur qualité d’orphelins -
De n’avoir pas de belle mère !
Les orphelins sont des malins.





RAOUL PONCHON
le Courrier Français
16 sept. 1894
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