28 sept. 2007

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TROU-SUR-MER
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Non, Trou-sur-Mer n’est pas un mythe.
Il existe dans la limite
Du possible. C’est peu, c’est trop,
C’est une plage infortunée,
Où je fus conduis cette année
Par mon manque absolu de flair,
Que Trou-sur-Mer.

Trou-sur-Mer est, par malechance,
Situé dans le fond d’une anse
Où la mer fait ce qu’elle peut,
Mais peu, que peu !
Parfois, cependant , si Borée
Amène une forte marée,
On la voit - quand le temps est clair -
A Trou-sur-Mer.

L’unique hôtel est - lit et table -
Le comble de l’inconfortable.
Il est vrai que les prix sont doux :
Cinq francs dix sous.
Mais, affirmons-le tout de suite,
La pension sera gratuite,
Qu’elle serait encor trop cher,
A Trou-sur-Mer.

A Trou-sur-Mer, la clientèle
Forme une petite chapelle
Fermée à tout nouveau venu,
A l’ingénu
Qui dans ces parages s’égare.
Sans doute, il s’est trompé de gare…
Il relève du seul Deibler,
A Trou-sur-Mer.

A Trou-sur-Mer, c’est la famille,
Celle qui de vertus fourmille,
Qui ne se perd pas dans l’éther,
Eté, n’hiver.
On y vient pêcher la crevette,
Faire sa petite trempette,
Et visiter le Trou d’Enfer,
A Trou-sur-Mer.


A Trou, point de plaisirs profanes,
De casinos… ça n’est pas Cannes.
Point de tatas, point de chichis…
C’est pas Vichy.
Ils se fichent de vos nouvelles,
Egalement, pauvres cervelles,
Ils en sont encore aux Humbert,
A Trou-sur-Mer.

Tout le jour, c’est la même note.
On y jacasse, on y jabote
Du temps qu’il fait ou qu’il fera,
Du choléra…
Et le soir on y pianote,
On y Massenette ou Gounote.
Ils n’en pincent pas pour Wagner,
A Trou-sur-Mer.

Vient-il une jeune poneytte
A Trou, dans ce pays honnête,
Avec, si peu que ce soit, l’air
D’avoir deux airs…
Ah ! La pauvre !comme on l’accueille !
Je dirai mieux - comme in la cueille !
Les mœurs avant tout : pas d’impair,
A Trou-sur-Mer.

A Trou-sur-Mer, on vous surveille.
On sait quoi vous fîtes la veille.
Celui qui s’attarde au café
Est tôt bouffé.
Ainsi, moi-même, pauvre diable,
Je passe pour un misérable
Parce que je prends « mon amer »
A Trou-sur-Mer.


J’oubliais… des fois, quand on dîne,
Vous vient un relan de sardines.
Comme cela m’inquiétait,
Je demandai…
« C’est qu’il en existe une usine,
Tout près d’ici », dit ma voisine.
Aussi sent-on un peu la mer…
A Trou-sur-Mer.


Raoul Ponchon



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