28 sept. 2007

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A LA FOIRE
AUX JAMBONS
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Quoi ! c’est donc vous, pauvres cochons,
Périgourdins ou berrichons,
Ces chapelets, ces cabochons…

Qui font - c’est à ne pas y croire -
Toute la gloire transitoire
Et tout l’attrait de cette foire !

Ah ! mon Dieu ! ce que vous étiez !
Et ce qu’en leurs sombres métiers,
Ont fait de vous les charcutiers !

Sous leur coutelas qui vous guette,
Votre déchéance est complète,
Depuis les pieds jusqu’à la tête.

Ces messieurs, donc, se font un sport
De vous engraisser tout d’abord.
Et puis, ils votent votre mort.


Et dans leurs arrière-boutiques,
Ces inquisiteurs frénétiques,
Pires que ceux des temps gothiques,

Vous égorgillent lentement,
Pour avoir votre sang fumant
Jusqu’à complet épuisement.

Et malgré vos fureurs bizarres,
Ils le rabattent, les barbares,
Dans des poêles et dans des jarres ;

Et le transforment tout soudain
- Plus adroits qu’un Robert Houdin
En noires aunes de boudin.

Ils pendent dans leurs cheminées
Vos jambons et vos échinées,
Et souvent pendant des années.

Ils ont mille et une façons
Dont nous n’avons aucun soupçon,
De vous réduire en saucissons.

Ils utilisent vos chairs toutes,
Jusqu’à ce qu’elles soient dissoutes
Dans leurs choux et dans leurs choucroutes.


Parfois, votre corps ingénu
Ils le hachent menu menu,
Tant qu’il soit à rien devenu.

Ils appellent ça des rillettes !
De même vos tripes douillettes
Font les frais de leurs andouillettes.

Votre lard, cuit sur un feu doux,
Devient aussitôt du saindoux,
Aux fins de leurs futurs ragoûts.

Votre groin et vos oreilles,
Qui sont des corolles vermeilles,
Ils en font aussi des merveilles.

J’en sais d’encor plus impudents
Qui prennent vos pieds redondants,
Pour s’en faire des cure-dents !

Quelquefois, ils poussent l’audace
Jusqu’à , de votre couenne grasse
Enduire leurs souliers de chasse !

De toute manière, il appert
Que, pour le charcutier expert,
Rien de vous, cochons ne se perd.

Jamais il ne fut plus habile,
En inventions plus fertiles.
Tenez, un détail entre mille,


O cochons ! Et non le moins beau :
Parfois, il vous transforme en veau.
C’est-ce qu’on nomme l’art nouveau.



R.P

le Journal - 09 avr. 1906
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