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MARCHANDS DE ROBINETS
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Vous avez ouï par les rues
Mille fois plutôt qu’une
Ces trompettes acides, crues
Qui fendent l’oreille et le bois,
Dont jouent à se rompre la goule
D’anciens seigneurs polonais
Qui vont prétendant à la foule
Qu’ils sont marchands de robinets.
Après tout, les bougres sont libres ;
Ils font encore moins de bruit,
D’ailleurs, que ces messieurs fébriles,
D’autant qu’ils n’en font pas la nuit.
Ils n’en sont pas moins détestables.
Parbleu ! - dis-tu - je les connais
Et je les plains : ces pauvres diables
Vendent vraiment des robinets.
Des robinets ? L’on t’en ratisse.
Je l’ai cru longtemps comme toi.
Je dois dire en toute justice
Qu’ils n’en vendent pas plus que moi.
Des robinets ? La bonne blague !
Turlututu, taratata,
Je veux bien recevoir la schlague
Si jamais on en achèta ?
Voyons, il s’agit de s’entendre :
As-tu connu jamais quelqu'un
En acheter ? Cet autre en vendre ?
Oncque personne, nul, aucun.
Et, vous a-t-on jamais, madame,
Posé le moindre robinet ?
Non n’est-ce pas ? Moi, sur mon âme !
Je sais très peu ce qui en est.
Vous voyez bien ; c’est du délire !
Mais enfin, quel est le métier
De ces marchands ? - Vais vous le dire,
Pour si peu que vous m’écoutiez ;
Hier, j’étais à ma fenêtre
En train de fumer un mégot,
Quand, un chaud d’robinets paraître
Que je fis monter aussitôt.
Il jouait, cela va sans dire,
Je ne sais quel refrain du jour
Sur son instrument de vampire
Qui ferait aimer le tambour.
Et cet industriel à peine
Etait-il dans son cabinet
Que je lui dis : « V’là ma fontaine,
S’agit d’y mettre un robinet. »
Il me regarda d’un air chose
Du haut pour ainsi dire en bas ;
Et dans son ordinaire prose
M’avoua qu’il n’en avait pas.
En revanche il fouilla mes bibles,
Mes lettres et mes manuscrits,
Et les matières explosibles
Que je cache sous mes lambris.
Il fit jaser ma cuisinière,
Mon majordome, mon cocher,
Mais de la mauvaise manière,
N’ayant rien pu leur arracher…
Raoul Ponchon
le Courrier Français
26 août 1894
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