20 sept. 2007

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Quinquina
Dubonnet
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Je professe une horreur sainte
Pour l’absinthe :
- Déjà je m’en suis ouvert -
C’est une liqueur coupable,
C’est le diable
Lui-même, le diable vert.

C’est le diable fait liquide.
Un perfide
D’où sort, c’est incontesté,
Un vrai parfum qui l’obsède.
Ne lui cède
Ou te voilà possédé.

Je hais aussi d’une sorte
Aussi forte
Tous ces nègres du Congo :
Bitters, amers que la menthe
Agrémente
Quand ça n’est le curaçao.

Si l’on songe qu’ils oxydent,
Qu’ils trucident
Les plus durs matériaux,
Tu vois d’ici quels ravages
Ces sauvages
Font dans tes petits boyaux.

Le vermouth qui est de France
N’est que rance,
Tu as beau le guignolet ;
Celui de Turin, ma chère,
Vrai clystère,
Me fait tout de suite… aller.

Gins et whiskys m’abrutissent,
Me ratissent ;
Le cocktail me fout le spleen :
J’aimerais cette chimie,
Alchimie,
Si jamais je deviens queen.

Le byrrh n’est meilleur ni pire
Plutôt pire.
Quant au dénommé cassis
Autant boire, par ma fine !
- Pas, fi fine ? -
Sagan
*, ton coco gratis (1)
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De même, je considère
Le madère
Comme un bruit qu’on fait courir
Que si jamais vous en bûtes,
Pauvres brutes,
Vous avez du bien souffrir…

Et c’est pourquoi je proteste
Et je peste,
Et pour bien d’autres motifs
Encor, contre ces mixtures,
Ces ordures
Que l’on dit apéritifs.

Qui sous leur aspect candide,
Leur air Dide
Sont faits avec des mégots,
Des débris de fruits qu’usinent,
Que cuisinent
D’ingénieux saligauds.

« Mais alors, va t’on me dire,
Tu veux rire ;
Qu’est-ce tu bois au café,
A l’apéritif ? Dis, qu’est-ce ?
Car sans cesse
T’as le gosier échauffé ? »

Ben, je bois ce que dois boire,
Il faut croire,
Tout être qui s’y connaît :
Cette chose incomparable,
Admirable,
Le Quinquina Dubonnet !





Raoul Ponchon

1895



(1) Le prince de Sagan,* en effet, à la grande réunion d’Auteuil, a fait distribuer à son peuple cinquante mille litres de coco.

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