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MARDI GRAS
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Sapristi ! Qu’il fut maigre
Ce dernier Mardi Gras !
Qu’il fut gris, qu’il fut nègre,
Raplaplat, patatras !
Sous un ciel terne,
Aussi dreyfusien
Qu’au sein d’une lanterne
Peut l’être un bran de chien,
J’ai vu, navrant nos rues,
Un cent de balochards,
Six quarterons de grues
Et de veaux sur les chars,
Drapés en des guenilles
Mûres pour le lavoir,
Et se targuant de quilles
Qui faisaient mal à voir.
Des Vénus aux carottes,
Des mousquetaires gris
Qui faisaient dans leurs bottes,
Et pour le même prix
Toutes ces loques louches
Se grouillaient, gambillaient
Ainsi que font les mouches
Vers le mois de juillet.
Animant cette crasse
De tontaine tonton,
C’était du cor de chasse
Et c’était du piston ;
Car il n’est pas de fête,
Tu le sais, mon fiston,
A moins d’être imparfaite,
Sans cor et sans piston.
Or pendant que ces singes
Désobligeaient nos nez
En remuant des linges
Trop longtemps boucanés,
Les carosses eux-mêmes
Traînés couci-couci
Par quelques rosses blêmes
Ecrasaient sans merci
Cent piétons absurdes,
Vingt chienlits obscurs :
Dix clowns, seigneurs ou Kurdes,
Sept Polonais, trois Turcs.
Et tous ceux en voiture
Conspuaient ceux à pied
Encor que leur vêture
Fût du même fripier.
Pour trancher la querelle
Voici-t-il pas pleuvoir
Neige fondue et grêle,
Mes enfants, fallait voir !
Grands dieux ! Quelle débâcle !
Celle à Zola n’est rien.
Jamais plus laid spectacle
N’hahurit un chrétien.
Les confetti, la pluie
Firent de Paris tôt
Une soute de truie
A couper au couteau.
Ce fut tôt une boue
Mi-noire et rose-mi,
Une infâme gadoue,
Où pataugeait, parmi,
La foule ambulatoire,
Qui d’ailleurs s’en fichait,
Si bien qu’on eût pu croire
Du vomi qui marchait…
Maintenant, mon vieux Charle,
Peut-être tu crieras
Parce que je ne parle
Peu ni prou du bœuf gras ?
Pauvre habitant de Cette,
Des voitures rangé !
Depuis belle lurette
Le veau d’or l'a mangé.
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
27 fév. 1898
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