25 sept. 2007

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MERCREDI DES CENDRES
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Allons, reines des halles
Aux formes idéales,
Flanquez-nous au rancart
Tous ces brocarts.

Rentre ces viandes froides
Si tellement peu roides
Qu’on préfère à les voir
N’en rien savoir.

Reprenez vos négoces,
Et faîtes-nous des gosses,
Comme dit Richepin,
Un vrai lapin.

Allons, dieux et déesses,
Héros, rois et prêtresses,
Gaulois, fils de Brennus,
Chicards, Vénus,

Remisez dans vos turnes
Ces casques, ces cothurnes,
- Les jeux sont terminés -
Et ces faux nez.


Et vous, les mousquetaires,
Raccrochez aux patères
Vos pourpoints, vos chapeaux,
Vos oripeaux ;

Parbleu !vous nous suffîtes,
Ces trois jours où vous fîtes,
Sur vos coursiers vainqueurs
Les jolis cœurs.

Ah ! que votre air superbe
Fait mentir le proverbe !
Comme l’habit, c’est tout
Et ratatout !

Marquis rose, bleu tendre,
Ce fut à s’y méprendre :
On lisait dans vos yeux
Tous vos aïeux.

J’ai vu Bussy d’Amboise
Et le duc de Pontoise,
Et Tonnerre-Clermont,
Et Rodomont ;

J’ai reconnu Bragance
A son air d’arrogance ;
Et j’ai dû voir aussi
Mémorency .


Vous étiez beaux mes maîtres ;
Porthos avait trois mètres
Pour le moins ; Aramis
Aux yeux de miss,

Fit chavirer les âmes
Des hommes et des femmes ;
Athos était pareil
Au Roi-Soleil.

Et vous jetiez à peine
Sur la canaille vaine
Un regard indulgent,
Décourageant.

Et quelles façons fières
De brandir vos rapières
Comme tels qui n’ont ja-
mais fait-ça.

Pendant trois bons jours peste !
Vous fûtes sans conteste
Nos seigneurs, mais, trois jours,
C’est pas toujours…

Heureusement ! J’estime
Que sous notre régime,
Faut être homme de cour
Chacun son tour.

Vous ? c’est fini de luire.
On va vous reconduire,
Vous n’êtes plus que des
Invalidés,

Des gens sans importance ;
Voilà de l’existence
Les retours inhumains !
Vos nobles mains

Hier, semeuses d’épates,
Redeviennent des pattes,
Vos armes, des balais,
Pauvres valets !


Sous les brises bourrues
Vous enlevez des rues,
Malheureux abrutis,
Ces confettis

Que vous lanciez la veille,
De sorte non pareille,
Ou que vous receviez,
O tristes pieds !




Raoul Ponchon

le Courrier français
23 fév. 1896
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