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INCOHERENCE
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C’est le Printemps ! la feuille pousse
A l’arbre de la Liberté,
Qui lui, n’a pas grandi d’un pouce,
Depuis le jour qu’il fut planté.
C’est le Printemps ! la feuille pousse.
La liberté, c’est d’être libre :
- Disons-nous, la Palice et moi -
Forte parole et de calibre !
En est-il de plus belle en soi ?
La Liberté c’est d’être libre !
Etre libre, pour qui raisonne,
C’est pouvoir agir à son gré,
Pourvu qu’on ne gène personne.
C’est bien cela, n’est-il pas vrai,
Qu’être libre, pour qui raisonne ?
Or, je me sens un pire esclave.
On me parle de liberté,
Et j’en ai beaucoup moins qu’un Slave.
Telle est l’affreuse vérité.
Oui, Je me sens un pire esclave.
Prenons un exemple entre mille :
Je suppose que j’ai horreur
De coucher dans un domicile,
Même fourni, par Mesureur…
Prenons cet exemple entre mille.
Si je vais la nuit, sous la brume,
Coucher sur un banc, à Neuilly,
Qu’est-ce que je prends pour mon rhume ?
Les flics m’auront bientôt cueilli
Je ne puis dormir sous la brume.
Je veux rester célibataire.
Et l’on parle de m’imposer :
Mais quand la reine de Cythère
Me voudrait encore épouser,
Je veux rester célibataire.
Si je veux me faire trappiste,
Je n’ai point besoin d’insister…
Je me verrai suivre à la piste.
On m’envoie ailleurs trappister
Si je veux me faire trappiste.
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* *
Ah ! Si l’on me disait encore
Sur quel pied il me faut danser ;
Je danserais, ô Terpsichore !
Mais, las : il ne faut pas penser.
On ne me l’a pas dit encore.
J’en pince pour la République ?
On me fait acclamer des rois.
Incohérence hyperbolique,
Qui me fait aimer à la fois
Les tyrans et la République !
Si je m’écrie : « A bas l’armée ! »
Tout comme Hervé, je vais au clou.
Et si je dis : « Vive l’armée ! »
On me déplace - tel Bailloud.
Que dois-je penser de l’armée ?
J’ai du vin… je ne puis le vendre
Si l’on patronne les fraudeurs.
Il faudrait cependant s’entendre,
Messeigneurs nos législateurs
J’ai du vin et ne puis le vendre !
Si je suis las de l’existence
Qui m’est faîte, ai-je pas le droit
De m’empoisonner ? Oui, je pense…
Eh bien ! Non. Pas tant qu’on le croit.
Ah ! Mes enfants, quelle existence !
Car, parmi les poisons notoires,
On parle de me supprimer
Celui que j’aimerais à boire,
L’absinthe - pour ne la nommer -
Un des poisons les moins notoires.
Voilà donc une chose acquise ;
Pourquoi plus longtemps discourir ?
Je ne puis pas vivre à ma guise,
Non plus à mon aise mourir !
Voilà donc une chose acquise.
RAOUL PONCHON
le Journal
02 juin 1907
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