29 sept. 2007

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LE SOURIRE
DE LA JOCONDE
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A l'heure de la controverse alimentée par l' oeuvre romanesque et cinématographique, Ponchon n'est pas en reste et lève le voile sur le mystère du fameux sourire de Mona Lisa... Etonnant !
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Le sourire de la Joconde
Excite encor les curieux ;
Ils y découvrent tout un monde
Inquiétant, mystérieux.

Pour moi, beaucoup plus sur la terre
Qu’en le domaine de l’Esprit,
Je n’y vois pas tant de mystère.
C’est une femme qui sourit.

Et voilà tout. Un bon artiste,
Même parmi ceux d’aujourdhui,
Et pour si peu qu’un dieu l’assiste,
Point de difficultés pour lui.

Qu’une femme sourit ou pleure,
Peintre ou sculpteur, sûr de son art,
Saura la rendre tout à l’heure.
Je m’en rapporte à Léonard.
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*.. *

Quoi qu’il en soit, cette Joconde
Etait mariée, il paraît.
Le Vinci la vit dans le monde
Et voulut faire son portrait.

Or, dès la première séance
Que, d’ailleurs, l’époux approuva,
Ce qui, dans cette circonstance,
Devait arriver, arriva.

Le peintre fut de son modèle
Epris. Et cet être charmant
N’était qu’une humble… citadelle,
Elle se rendit aisément.

Après les premières étreintes,
Evidemment il ne songea
Qu’à faire d’elle une œuvre peinte.
C’est alors qu’elle dit : « Déjà ?… »

Ce qu’on sait, ou que je suppose,
C’est que cette Monna Lisa
Lui donnait constamment la pose
D’une « Mater Dolorosa »,

Ce qui désolait le pauvre homme ;
Car, en toute sincérité,
Il la voyait bien plutôt comme
Une dame de volupté.

Il ne pouvait obtenir d’elle
Qu’elle sourit aimablement.
Pourtant, il la désirait telle,
Et comme artiste et comme amant.

Au fait, en dernière analyse,
- Je risque cette énormité ? -
Sans le sourire, cette Lisa
Serait quelconque, en vérité.



*
* ..*


Un jour donc qu’il était tout triste
De ne la pouvoir mettre au point,
Ce fut l’amant, et non l’artiste,
Qui lui dit à brûle-pourpoint :

« Qu’est-ce que l’on m’a dit, ma belle,
Que mon voisin vous fait la cour
Et ne lui seriez point cruelle…
Est-ce vrai, cela, mon amour ? »

Elle trouva bien inutile
De répondre et, sans un émoi,
Elle garda cet air tranquille
Que nous connaissons vous et moi.

Mais voici qu’au coin de sa lèvre
Se dessina ce fameux pli
A la fois narquois et mièvre…
Le mystère était accompli.


Ce fut l’artiste, pour mieux dire
Qui reprit le pas sur l’amant
Et réalisa ce sourire
Qui demeure éternellement;



Raoul Ponchon

le Journal - 02 janv. 1909

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