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BUVEURS

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A Raoul Ponchon


Vive la Pologne ! Monsieur !
Charles Floquet.


Oui, Monsieur ! vive la Pologne !
Et vivent les Polonais !

Vive leur antique réputation d’ivrognerie !
Vive leur insatiable gosier pompant, absorbant, assoiffé
- tel le sable du Sahara au soleil du tropique. -
Vive la Pologne, monsieur !
Vive la Pologne ! Madame !
Le vin rend amoureux, fait les hommes plus tendres, doux comme le vin doux :
De quoi vous plaignez-vous.

A boire !

N’est-ce point, il me semble, le premier cri de l’homme aussitôt qu’il est né.

A boire !

Qui n’a pas bu va boire et qui a bu boira.
L’exemple vient de loin, l’exemple vient de haut.
A boire ! clamait Jupiter à la blonde Hébé. *
A boire ! demandait-il encore à Ganymède, *
et l’ambroisie, nectar des dieux, rendait l’Olympe moins monotone.
A boire ! criait Noé, en inventant la vigne : ô l’invention divine !

De vigne en treille
- La voilà la jolie treille -
Treillons, treillons, treillons le vin,
La voilà la jolie treille à vin,
La voilà la jolie treille.

De treille en grappe, de grappe en botte, de botte en cuve, de cuve en pièce,

de pièce en litre, de litre en verre, de verre en bouche, de bouche en ventre…

A boire ! A boire ! A boire !
à ta santé, Raoul,
du vin ! du vin ! du vin !

Bon Français, quand je bois mon verre
Plein de ce jus couleur de feu,
Je songe en remerciant Dieu
Qu’ils n’en n’ont pas en Angleterre.

A boire !

noyons nos chagrins dans le vin :
N’est-ce pas en lui - in vino veritas - que nous retrouverons la Vérité,

bien mieux qu’au fond d’un puits, d’un puits où l’eau croupit et s’emmicrobe,

la Vérité toute belle ! et aussi toute nue.

A boire !

A boire !

Buvons comme des trous, buvons comme des templiers, des Suisses,

comme des chantres, des sonneurs, comme des moines, des capucins,

comme Falstaff,

buvons comme boivent tous les braves gens, du vin, du vin,

les méchants sont des buveurs d’eau.

Avec Gambrinus en passant, et le petit Pousset, choquons notre verre, sa vieille chope emperruquée - tel Louis XIV - est respectable, sa blonde bière a de faux airs de vin mousseux.

A boire !

Versez le vin !

Lequel ?

Est-ce Pomard ou Richebourg, ou bien Margaux, ou Clos-Vougeot ?

Est-ce Sauternes ? Est-ce Moursault ou Saint-Estèphe ?

Est-ce Corton ? Est-ce Vouvray, Graves, Saumur ou Romanée ? Est-ce Argenteuil ?

Est-ce Suresnes ? Est-ce Mouton ou Musigny ? Est-ce Lunel ou Frontignan ?

Est-ce Bordeaux ? Est-ce Bourgogne ? Est-ce Touraine ?

Est-ce Champagne ?
Versez-les tous, l’un après l’autre, buvons, buvons pour que les toasts dans un instant soient plus sincères et plus émus. Versez-les tous, voici nos verres, voici nos coupes. Versez le Mumm au Cordon Rouge !

Et si parfois nous titubons - pas vrai, Ponchon - qui le verra,

car minuit sonne…
Nous sommes ivres ?…

les chats aussi, tous, en la nuit sont-ils pas gris ?

Jérôme Doucet *