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L’ELEPHANT
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J’ai vu dans un cirque bête
Un excellent éléphant
Jouer, la trompe en trompette,
Ainsi qu’un petit enfant.
Je dis jouer… c’est possible,
Mais à dormir tout debout :
Son désir étant visible
De ne pas jouer du tout.
Une espèce de crapule,
Homme de corde et de sac,
Vrai pygmée auprès d’Hercule,
Si vous voulez, son cornac,
A grands coups de chambrière
Le faisait évoluer
Ci, delà, devant, arrière,
Voire valser, saluer.
Il ne s’en souciait guère ;
Ce lui était, je le crois,
A peu près comme un cautère
Sur une jambe de bois.
Il n’en était pas moins triste
De voir le pauvre animal
Au milieu de cette piste
Se donner autant de mal.
A l’instar d’une levrette,
Il faisait des bonds, des sauts,
Il allait à bicyclette,
Et passait dans des cerceaux.
Quelquefois, sur son derrière
Se dressait ce monument,
Et l’eussiez dit en prière :
C’était pénible, vraiment.
Tout cela, je vous demande
Un peu, lecteurs de mon coeur,
Pour amuser sur commande
Mille idiots spectateurs.
Certes, ou, si je me trompe ?
Cette noble bête aurait
Pu d’un revers de sa trompe
Réduire l’homme en cotrets,
En faire une chose morte
Comme un livret d’opéra,
Un cadavre qu’on emporte…
Espérons que ça viendra.
* ...*
Le Peuple est pour ainsi dire
Ce pachyderme bénin.
Il se laissera conduire,
En général, par un nain
Qui l’abrutit et l’épate
Avec des mots longs de ça…
Qui lui fait donner la patte,
Jusques au beau jour où sa
Longanime patience
Est au bout de son rouleau ;
Lors, il reprend conscience
De sa force et dit : salaud !
Et soulevant son bonhomme
En n’y mettant que deux doigts,
Lui brise la tête comme
Une coquille de noix.
RAOUL PONCHON
le Courrier français
24 mars 1901
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