5 nov. 2008

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On est l’artisan de sa beauté
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(Traduction libre du Sarcey)

N’avez-vous pas cent fois en ouvrant les yeux sur le monde et en l’observant, l’occasion de remarquer comme les pensées, les aspirations et les rêves dont l’âme est agitée, comme les occupations dont l’existence est remplie se marquent sur le visage des personnes par des empreintes caractéristiques.
Francisque Sarcey
(Annales politiques et littéraires)
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.Monsieur Daudet, retour de Londre,
A quelqu‘un qui lui demandait
Quid des Anglaises ? De répondre :
« Peuh, peuh… c’est de l’eau de bidet. »

Il en parle bien à son aise.
Je vous jure que je sais, pour
Ma part, plus d’une belle anglaise
A qui j’ai fait un doigt de cour,

Sans avoir besoin d’interprète.
Les Anglais ont le mot flirter
Pour dire ça, conter fleurette,
C’est notre vieux mot fleureter.

Une jeune miss fraîche et rose
A le talent de m’émouvoir :
En amour comme en autre chose
Chacun sa manière de voir.

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Puis, une femme est toujours belle
Quand elle aurait le type anglais,
Si l’on a de l’amour pour elle :
Je te trouve belle… tu l’es.

La Beauté n’est pas absolue,
Elle n’existe pas en soi,
Telle mignonne est ton élue
Qui ne me dira rien à moi.

Vous pensez bien qu’une négresse
Quelconque aux yeux de son négro
Sera cent fois plus charmeresse
Que la sémillante Otéro.
*

La Hottentote fait la pige,
*
Si l’on en croit le Hottentat,
A toute Vénus callipyge,
Il te le prouvera tantôt.


Ma foi ! Que de plus forts en glosent,
Des goûts… des couleurs… Cependant
On voit des beautés qui s’imposent
A la foule, c’est évident.

Je n’en citerai qu’une seule :
Tenez, madame Récamier.
*
Ses contemporains pour sa gueule
Roucoulaient comme un seul ramier.

Quand elle entrait dans un théâtre
En péplum blanc et sans corset,
Aussitôt la foule idolâtre
A tout rompre l’applaudissait.

S’égarait-elle à l’assemblée ?
La séance on interrompait,
Et conquis par elle d’emblée
Chaque membre alors se levait.

Il faut croire que cette femme
Répondait au pur idéal
Que tout homme porte en son âme
Et dont il est l’obscur féal.

Oui, mais voilà ! quelle misère !
Ce cas n’est pas le coutumier,
- Ou j’y vais comme Bélisaire -
On est pas tous des Récamier.


Je pense même que la forte
Majorité du genre humain
Est plutôt mixte, en quelque sorte,
Oui, j’en mettrais au feu ma main.

D’aucuns ont la beauté du diable
Dans leur jeunesse ; et puis, voilà
Que vient l’âge irrémédiable,
C’est le vrai diable que cela.

Eh bien, quelle que soit la bure
Dont Dieu daigna te gratifier,
Va, tu peux, si tu en as cure
A ton gré la modifier.

Ne criez pas à la folie.
Les rêves et les passions
Dont toute existence est remplie
Modifient les expressions

De tout visage, qui s’altère.
C’est selon, en bien ou en mal,
Avec le temps. Le caractère
Influe aussi sur l’animal.

Voyez, après trente ans d’absence,
Si je rencontre par hasard
Une vieille à moi connaissance
Du temps que j’étais moins pansard,

Je ne saurai la reconnaître,
Elle pas davantage moi ;
Tout s’est transformé de notre être,
Ca n’est plus elle, et pas plus moi.

Et pourtant nous sommes nous-mêmes ;
Mais le dedans sur le dehors
Prit le dessus, Sombres problèmes !
Notre âme sculpta notre corps.



Le corps est beau si l’âme est belle
Et laid s’elle est de mal aloi
Je ne sais pas d’être rebelle
A cette souveraine loi.

Une femme d’abord jolie
Mais pleine de méchanceté
Sera bientôt désembellie :
C’est vrai de toute antiquité.

Une autre d’un aspect sommaire,
Désarmera par sa candeur :
Ainsi, tenez, ma pauvre mère
Jouissait de quelque laideur…

Pas d’une laideur repoussante,
- De grâce, n’exagérons rien -
Non, de cette laideur décente
Qui convient aux femmes de bien.

Mais i fallait voir son sourire
Les jours qu’elle était en gaîté !
On oubliait - pourquoi l’écrire ? -
Qu’elle n’avait pas de beauté.

Un visage peut fort bien plaire,
Encore qu’il soit déjeté,
Par je ne sais quoi qui l’éclaire.
L’esprit… si l’on veut, la bonté ?…

Ainsi Ohnet n’est pas un aigle
Bien joli ; son dos en melon
Contrairement à toute règle
S’écroule dans son pantalon ;

Or, remarquez-le, quand il cause,
Comme il a l’œil éveillatif.
Il n’est pas besoin d’autre chose
Pour qu’il nous semble moins chétif.


Quand moi, je suis, je vous jure,
Ni bien ni mal ; j’ai, comme on dit,
Une bonne grosse figure,
Qui de belle humeur resplendit ;

Mais aussi je l’ai façonné.
Qu’on me traite de vieux barbon,
Peu m’en chaut, c’est ma destinée.
Et je suis beau car je suis bon.

Donc, voulez-vous être plastique ?
Vous acquérir quelque beauté ?
Plantez-moi à la gymnastique,
Ne cultivez que la bonté.


Raoul Ponchon

le Courrier Français
Ile des Ebbiens - 30 juin 1895

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