3 nov. 2008

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LA DELATION
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Mon Dieu, que l’on se rue
Au détour d’une rue,
A coups de bâton sur
Un bourgeois de rencontre,
Pour lui prendre sa montre,
Ce n’est pas beau, bien sûr.
Évidemment, le geste
N’est pas très élégant ;
Et je conviens, du reste,
Que l’on est un brigand.
Pourtant, si l’on en glose,
Il faut être un lapin
Pour conduire la chose,
Dirai-je - à bonne fin.
Tu risques la potence
Si l’on te prends jamais.
C’est donc ton existence
Qu ‘ainsi tu compromets.

* ...*
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Réfléchis, bien encore.
Il se peut faire aussi
Que la triste pécore
De bourgeois que voilà
N’y mette le holà.
Se peut qu’il se rebiffe,
Et ne comprenant rien
A ton
Struggle for life
,
Il défende son bien.
Cependant - ou je meure ! -
En ce jour d’ aujourd’hui,
Tu as, à savoir l’heure,
Autant de droits que lui.
Part à deux, c’est la règle,
Une montre, vois-tu,
Doit être au plus espiègle,
Sinon au plus têtu.


* ...*


Je comprends que tu coupes
Une femme en morceaux,
Au point qu’il faut la loupe
Pour en compter les os.
Avant que je t’accuse,
Je me demande si
Tu n’as pas pour excuse,
En la traitant ainsi,
De faire en conscience
Avancer la science.
Ce qui m’ôte un souci.
Je comprends tous ces crimes,
Ce ne sont que des frimes.

* ...*


Mais la délation !
Mais lâchement, dans l’ombre,
Faire cette œuvre sombre !
Abomination !

Aller comme un cloporte,
La nuit, de porte en porte,
Écouter, épier,
Coller sur un papier
Des rapports sans contrôle,
Suspendre les secrets
Jusque dans les retraits,
N’est-ce point là d’un drôle ?
Faire ce métier vil
Sans risque, sans péril !

Il faut avoir une âme
Étrangement infâme.
C’est se prostituer.
C’est pire que tuer.
Tuer est moins infâme.
Mais quoi ! Me direz-vous -
Ces mœurs particulières
Se trouvent coutumières
Autre part que chez nous ?…
Non, non - C’est bien France,
Pays de tolérance.
Et l’on voit des soldats
Qui jouent à ces Judas.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
26 janv. 1905
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